De par l’influence paradoxale de la circulation du sens, le texte fait sauter le verrou du temps orienté et irréversible. Qui songerait à nier que l’Ulysse de James Joyce ne serait pas ce qu’il est sans l’Odyssée ? Et pouvons-nous dire que nous lisons l’Odyssée de la même façon après avoir lu l’Ulysse de James Joyce ? En prenant les choses autrement on devrait affirmer que l’Ulysse de James Joyce était programmé par le sémiotope de l’Odyssée, ou encore que l’Ulysse est une des versions récentes de l’Odyssée (Fragments sur le texte, 2002, p. 60).
À un an du décès de Gérard Genette (11 mai 2018), la présente publication témoigne de la vitalité de son œuvre théorique, dont l’importance dans la révolution intellectuelle de la « nouvelle critique », dans le sillage du magistère de Roland Barthes, n’est plus à démontrer. Ses écrits, qui s’étendent sur plus de 40 ans, ont connu un succès inusité dans le champ de la théorie littéraire, grâce en particulier à l’élaboration d’un système, finement ciselé, de notions bien définies, qui balisent totalement l’analyse textuelle.
Ma génération, qui suivait de près celle de l’auteur des Figures, parlait couramment la langue genettienne, et la transmettait fidèlement aux étudiants, ravis de devenir à leur tour des experts dans le maniement des préfixes grecs et latins (auto-, hétéro-, homo-, intra-, extra-, hypo-, hyper-, meta-, pré-, post-, trans-, inter-), et de quelques termes succulents, à employer sans modération : palimpseste, architexte, mimologique, immanence et transcendance. En lisant le bouquet des études qui constituent le présent volume, je constate avec satisfaction que, toutes générations confondues, les critiques universitaires continuent de manier avec dextérité le système bâti par Gérard Genette. Plus éclectiques que le maître, les hispanistes ici présents ne se limitent pas à rechercher les liens qui unissent, souterrainement, deux ou plusieurs textes littéraires, leur conférant ainsi des sens imprévisibles et souvent magiques. Ils s’intéressent à de multiples champs de la création esthétique : peinture, gravure, arts graphiques, cinéma, photographie, chanson contemporaine, rap, modalités du discours historique ou mythique. Cette mise en consonance de savoir-faire pluriels, et parfois très hétérogènes, répond à la volonté de faire époque, certes, mais aussi et en même temps à celle de montrer que la critique évolue avec le champ culturel où elle s’inscrit.
Milagros Ezquerro, mai 2019
SOMMAIRE
L’intertexualité et la réécriture
David Álvarez Roblin (Université de Picardie – Jules Verne), «L’intertextualité problématique des contes de fous dans le Quichotte de 1615»
Julien Roger (Sorbonne Université), «Un personnage transtextuel: la figure du Juif errant dans l'œuvre de Leopoldo Lugones»
Caroline Lepage et Elena Geneau (Université Paris Nanterre), «Borges, García Márquez dans et depuis Kalpa imperial (1983), de Angélica Gorodischer»
Liliana Riaboff (Université Paris Nanterre), «Des sirènes et des lamantins dans l’œuvre de Gabriel García Márquez : dérives entre hyper et autotextualité»
Anne Garcia (Université Paris-Est Créteil), «Appropriation? Approximation? Prégnance de l’hypotexte biblique et rôle de la traduction dans la pratique poétique de José Emilio Pacheco. L’exemple du Cantar de los cantares».
Elsa Fernández (Université Paris Nanterre), «Les relations transtextuelles entre Lituma en los Andes et Abril Rojo»
Éléonore Parchilniak (Université Paris Nanterre): «Palimpsestes et fantômes dans Los ingrávidos: une hantologie»
Le dialogue entre les arts: poétiques et processus de l’intermédialité et de la transgénéricité
Hervé Le Corre (Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3), «L’entrelacs. Poésie, images et érotisme dans retórica erótica (2002) de Liliana Lukin»
Florence Olivier (Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3), «La photographie à la source du récit. De Cortázar à Bolaño»
Renaud Malavialle (Sorbonne Université), «Transtextualité et transgénéricité dans le récit hispano-américain contemporain: réflexions sur les sources et formes de la modernité»
Renée-Clémentine Lucien (Sorbonne Université), «Muerte de Nadie, d’Arturo Arango, La novela de mi vida, de Leonardo Padura, et Retour à Ithaque, ou les variations d’une Odyssée sans fin»
Judite Rodrigues (Université de Dijon), «Transtextualité subversive et travail des communs: quelques mécanismes dans les œuvres de Jorge Riechmann, David Franco Monthiel et Miguel Brieva»
Sandra Gondouin (Université de Rouen – Normandie), «La rappeuse guatémaltèque Rebeca Lane entre paroles et images: transtextualité et intermédialité dans la “Cumbia de la memoria”»
Pratiques métatextuelles et intertextuelles
Mariana Di Ció (Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3), «El inefable centro del relato, A propósito de (Tomas para un documental) de Daniel García Helde»
Davy Demas (Université d’Albi), «La letra con sangre entra. Pratiques métatextuelles et intertextuelles dans le roman noir mexicain: renouvellement ou dégradation d’un genre?»
Graciela Villanueva (Université Paris-Est Créteil), «Trois questions sur la transtextualité genettienne à partir d’une étude de textes de la littérature argentine»
Pénélope Laurent (Sorbonne Université), «La picaresque dans Hasta no verte Jesús mío: la fiction au coeur du récit»
Emmanuel Vincenot (Université Paris-Est Marne-la-Vallée), «Le grand détournement: hypertextualité filmique et parasitisme de marque»
Palimpseste et discours mémoriel
Marie Lecouvey (Université Paris Nanterre), «Quetzalcoátl messianique: chroniques coloniales et colonialisme interne dans la péninsule mexicaine (1880-1895)»
Stéphanie Decante (Université Paris Nanterre), «Guadalupe Santa Cruz, une poétique de l’écho»
Eva Touboul (Université Paris Nanterre), «La récupération de la mémoire historique: un palimpseste historiographique?»
Emmanuelle Sinardet (Université Paris Nanterre), «Les scrapbooks de Purita Kalaw Ledesma (1914-2005): la transtextualité comme processus de production de l’histoire des arts philippins (1948-2000)»
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