Depuis plusieurs années, notre laboratoire de linguistique romane s'intéresse particulièrement aux formes figées et à la parémiologie. Soutenus dans notre démarche par notre Centre de Recherches Ibériques et Ibéro Américaines (CRIIA) de l'Université Paris Ouest Nanterre La Défense, nous souhaitons contribuer au développement de ces domaines par des manifestations internationales et des publications scientifiques. Nous avons rassemblé dans le présent numéro de Crisol une série de textes inédits qui offrent une vue d'ensemble de la recherche actuelle dans le domaine de la parémiologie, discipline qui connaît un développement remar-quable depuis quelques années. En Espagne, notamment, où Julia Sevilla Muñoz est à l'origine d’une publication intégralement consacrée à la parémiologie, Paremia, revue ouverte aux chercheurs de toutes les nationalités qui peuvent ainsi mettre à jour leurs connaissances et profiter de cet outil de travail exceptionnel. Très active en France aussi, la parémiologie est en plein essor, en particulier grâce aux travaux réalisés depuis une vingtaine d’années sur les proverbes par les linguistes français. Les recherches de Jean-Claude Anscombre, de Georges Kleiber et de Martin Riegel ont fourni des pistes de réflexion pertinentes et novatrices, notamment dans le domaine de la structure des proverbes. Au sein de l'hispanisme français, une figure s'impose dans cette spécia-lité et nous souhaitions lui rendre hommage. Louis Combet (1927-2004) fut l'un des pionniers de la discipline et ses contributions aux recherches parémiologiques en France et en Espagne sont unanimement reconnue pour leur rigueur et leur valeur scientifique. Cette publication représente pour nous l'occasion de revisiter ses travaux : Recherches sur le Refranero castillan est un ouvrage d'une très grande rigueur intellectuelle, fondamental pour appré-hender le proverbe dans ses dimensions linguistique, culturelle et pragmatique. Louis Combet est aussi à l'origine de minutieux travaux d'édition de refraneros (Romancea Proverbiorum, Seniloquium, Vocabulario de refranes de Correas, Refranes o proverbios en romance de Hernán Núñez) et du recensement chronologique des grandes collections de proverbes. Mue par une intuition profonde, cette œuvre pionnière a énoncé de nombreux concepts de haute pertinence (1). Elle a ouvert des pistes aujourd’hui bien reconnues et parcourues. Combet a fait œuvre de définition et de typologie, distinguant proverbe et phrase proverbiale, faisant de ces formes brèves, aussi présentes en littérature que dans le langage le plus familier, l’objet de l’analyse du linguiste, de l’historien, du poéticien. Louis Combet a étudié (et édité) les proverbiers et les a situés dans leur contexte. Il a essayé, non sans succès, d’étudier la société espagnole au travers du Vocabulario de refranes de Gonzalo de Correas. L’entreprise n’allait pas sans dangers : le caractère stéréotypique du proverbe l’écarte naturellement d’une stricte application à un contexte historique donné. La relation entre un proverbe et une société est tout sauf biunivoque. Un refranero, pourtant, est une œuvre de sélection et d’adaptation à une société donnée et les conclusions de Louis Combet nous ont fait découvrir beaucoup sur la société espagnole du XVIIe siècle. Sur les traces de Combet, d’autres études ont été menées. La plus brillante a décrit les mentalités médiévales à partir des 465 proverbes contenus dans un manuscrit de Cambridge (2). Dans la typologie de Combet figure la distinction entre le proverbe d’expres-sion directe et le proverbe d’expression indirecte. Combet en a revendiqué la paternité, non sans quelque retenue ou scrupule (3). La première catégorie désigne directement l’expérience humaine, sans passer par l’expression métaphorique. Retenons pour exemple (1971 : 29), más vale tarde que nunca. Ces proverbes d’expression directe sont des sentences morales. Dans cette catégorie, Combet inclut les proverbes météorologiques (en febrero, mete tu obrero) et autres adages de portée pratique. Les proverbes d’expression indirecte sont quant à eux de nature métaphorique : « C’est à travers une métaphore que leur sens nous est finalement donné » (1971 : 30). Pour exemple: más vale un pájaro en la mano que buitre volando. Ce subtil départ, déterminé par la présence ou non de la métaphore, a le mérite de souligner le caractère fondamentalement illustratif et paraphrastique du proverbe. Il est certes exact que cette fonction « polynomique » (pour reprendre un mot de Bernard Pottier (4) ) passe par la métonymie (c’est le pro-verbe d’expression directe) et par la métaphore (c’est le proverbe d’expression indirecte). Un proverbe est métonymique dans la mesure où il habille le stéréotype d’un corps humain, d’une expérience humaine. Un proverbe est métaphorique quand il veut moquer une expérience humaine par une autre image. En fait, métaphore et métonymie se mêlent dans bien des proverbes et il faut passer par la métonymie pour faire d’une bourse ou d’une poche ses amis : el mejor amigo es la bolsa y el bolsillo. Ces travaux ont connu une importante diffusion dans le milieu scientifique international de la parémiologie et ont inspiré de nombreux chercheurs en France et en Espagne. A la suite de Combet, la recherche actuelle a considérablement progressé dans les différents domaines qui constituent cette discipline, grâce à des apports théoriques d'une part, mais aussi grâce aux innombrables pistes de réflexion qu'il a léguées. Le proverbe et ses fonctions à l'époque classique et au Moyen Age suscitent toujours l'intérêt de la recherche internationale. S'ajoutent des sujets variés abordés consciencieusement dans Recherches sur le "Refranero" castillan, les questions de classification, de taxinomie ou encore de traduction. Quant aux pistes suggérées dans cette œuvre, elles constituent un intéressant point de départ pour le développement de la discipline dans le domaine de la linguistique notamment. La vitalité non démentie des études dans le domaine de la parémiologie justifie cette initiative qui rassemble des chercheurs provenant d'horizons scientifiques différents. Leur collaboration, faite de réflexion au sujet de la contribution du célèbre hispaniste à la discipline, mais aussi de mise en perspective de ses travaux avec les théories plus récentes développées dans les deux pays depuis quelques années, devrait constituer un véritable apport pour la parémiologie. Nous avons souhaité multiplier les approches, grâce à la collaboration d'éminents spécialistes : l'ouvrage qui en résulte permet à la fois d'établir un état de la question concernant les avancées de la discipline et de rendre compte de son évolution. Dans la première partie, Julia Sevilla Muñoz et Silvia Palma consacrent leurs articles à l'analyse comparée des parémies françaises et espagnoles et évoquent les questions pragmatiques liées aux difficultés inhérentes à la parémiologie en matière de traductologie. David Macías Barrés s'inscrit aussi dans cet axe en y ajoutant une perspective didactique. La deuxième partie de ce recueil, conduite par Jean-Claude Anscombre, Sonia Fournet-Perot et Alexandra Oddo, propose une orientation linguistique. Les travaux portent tour à tour sur le traitement linguistique des proverbes, leur fonction pragmatique en discours et sur l'évolution en diachronie de leur signifiant. Les recherches parémiographiques font l'objet de la troisième partie. Le travail de récupération du matériau de proverbes dont nous disposons est en effet un pan essentiel de la discipline. Les travaux de Hugo Oscar Bizzarri, sur les proverbes, les phrases proverbiales et les énoncés sentencieux cervantins, et de Ángel Iglesias Ovejero, au sujet des dictons issus d'un calendrier régional espagnol, interrogent deux canaux de transmission des parémies, la langue écrite et la langue orale. Gloria Ríos Guardiola et Mercedes Banegas Saorín proposent ensuite une approche thématique et contrastive de la parémiologie en comparant les énoncés associés à l'eau dans les proverbiers français et espagnols. Deux études au sujet des grands recueils de proverbes hérités du XVIe siècle complètent cette publication. André Gallego, qui propose l'exégèse d'une source négligée en son temps par Correas, les Coloquios familiares de Gabriel Meurier et Marina García Yelo, qui évoque les proverbes français recueillis par Hernán Núñez dans Refranes o proverbios en romance, confirment grâce à leur contribution l'intérêt capital de ces grandes compilations pour la recherche en parémiologie.

 

Alexandra Oddo et Bernard Darbord.

2011.

 

1 Louis Combet, Recherches sur le "Refranero" castillan, Paris, Les Belles Lettres, 1971.

2 Philipe Ménard, « Les mentalités médiévales d’après le Recueil de Proverbes de Cambridge (ms Corpus Christi 450), Tradition des proverbes et des exempla dans l’occident médiéval, édité par Hugo Oscar Bizzarri et Martin Rohde, Fribourg, Scrinium Friburgense 24, 275-297.

3« Une telle façon de s’exprimer manque de précision… Un linguiste plus rigoureux préfèrerait sans doute parler d’expressions lexicales à très grand niveau de généralité ou à faible niveau de généralité » (Combet, 1971 : 29).

4 Bernard Pottier, Représentations mentales et catégorisations linguistiques, Paris, Louvain, éditions Peeters, 2000, 116-123.

 

 SOMMAIRE

Première partie : approches comparées et traductologiques

Julia SEVILLA MUNOZ – La aportación de Louis Combet para el estudio de las paremias  francesas con un enfoque comparado, traductológico y pragmático

Silvia PALMA – Los refranes en Las tierras flacas, de Agustín Yáñez. Problemas de traducción

David MACÍAS BARRÉS – El desarrollo de la competencia paremiológica en los futuros profesores de español como lengua extranjera en Francia

Deuxième partie : approches linguistiques

Jean-Claude ANSCOMBRE – Grandeurs et misères linguistiques de la parémiologie

Sonia FOURNET-PEROT – La Dorotea de Lope de Vega : au royaume de l'implicitation, le proverbe est roi

Alexandra ODDO – Évolution du Refranero castillan : la question des proverbes tronqués

Troisième partie : questions parémiographiques

Hugo Oscar BIZZARRI – Apuntes para un 'Diccionario de refranes, frases proverbiales y sentencias cervantinas'

Ángel IGLESIAS OVEJERO – Los refranes de referencia temporal en el calendario agrícola de Robleda

Gloria RÍOS GUARDIOLA et Mercedes BANEGAS SAORÍN – El agua en los refranes. Estudio contrastivo francés-español

Quatrième partie : les recueils de proverbes

André GALLEGO BARNÉS – Une source de proverbes négligée par Correas : les Coloquios familiares de Gabriel Meurier (1568)

Marina GARCÍA YELO – Considérations sur l'édition critique de l'œuvre Refranes o proverbios en romance de Hernán Núñez. Réflexions sur les proverbes français

Publiée: 2018-02-17