Les textes ici publiés correspondent aux communications présentées lors du 2e Colloque International organisé par le GRELPP, les 5, 6 et 7 décembre 2002 à l’Université de Paris X-Nanterre, sur le thème « Figures de la violence dans la littérature de langue espagnole ».
Ce colloque a parachevé le deuxième cycle des travaux menés par le GRELPP depuis 2000 sur ce même thème, travaux qui ont par ailleurs fait l’objet d’une autre publication1.
L’objectif de ce colloque était d’étudier – suivant une approche philosophique et/ou psychanalytique – la façon dont les auteurs hispaniques et hispano-américains mettent en scène la violence, l’élaboration qu’ils en font à partir des relations intersubjectives « réelles » et fantasmatiques qu’entretiennent les personnages avec leur entourage familial et social, et la place qu’y tient éventuellement la réalité socio-historique de référence.
L’intérêt que cette problématique a suscité chez de nombreux chercheurs de différentes spécialités de l’Hispanisme confirme – le précédent colloque2 l’avait déjà rendu manifeste – qu’une approche interdisciplinaire des œuvres littéraires ouvre des voies fécondes à la critique.
Les organisateurs ont reçu plus de soixante propositions de communications – venant de différents pays – dont seule une quarantaine a pu être retenue. Cette limitation a été nécessaire pour placer toutes les communications en séancPallínes plénières afin de favoriser la continuité de la réflexion et l’approfondissement des débats. Que toutes celles et tous ceux dont les travaux n’ont pas été retenus veuillent bien nous en excuser, d’autant que ces propositions entraient, en général, tout à fait dans la problématique du colloque.
Sous des figures multiples, la violence résonne au cœur de l’Être et, par conséquent, au cœur des sociétés et des individus de manière permanente. Imposée ou subie, elle habite le psychisme de l’individu, comme elle habite les relations sociales et l’Histoire. Rien d’étonnant donc que son caractère protéiforme se soit amplement déployé, de tout temps, dans la création littéraire.
Les textes du présent ouvrage portent – à l’instar de ceux du colloque sur l’image parentale – sur des œuvres précises, très diverses quant au genre, au
temps et à l’espace. Ils concernent le théâtre, le roman, la poésie – en Espagne et en Amérique hispanique – et s’étalent du Moyen Âge à nos jours. On découvrira ainsi que les multiples configurations de la violence par et dans la création littéraire réfléchissent de nombreuses constantes socio-historiques et existentielles qui tenaillent les individus et les sociétés.
Les 38 articles ici publiés sont regroupés en 5 parties, en fonction de la figure saillante de la violence qu’ils analysent. Figure saillante, car la lecture des communications permet d’observer que leurs auteurs soulignent souvent la présence, dans les œuvres analysées, de plusieurs visages de la violence.
Les parties s’organisent ainsi :
– Violence ontologique (6 articles).
– Violence et langage (9 articles).
– Violence et Histoire (11 articles).
– Violence, pulsion de mort et catharsis (7 articles)
– Violence sadique (5 articles).
Les titres des parties, et l’ordre dans lequel ils sont présentés, prétendent rendre compte des principales idées-force qui sous-tendent ces textes – comme elles ont sous-tendu les discussions lors du colloque – et leur connexion conceptuelle.
Les articles classés dans la partie « Violence ontologique » s’attachent à dévoiler ce fond obscur de l’englobant, cette violence qui sourd dans la nuit des origines, violence originelle qui marque d’un sceau indélébile le psychisme de l’individu et la conduite des sociétés. C’est dans ce fond obscur, dans cette nuit des origines qui précède, enserre et conditionne l’individu et les peuples, que se trouve sans doute la raison de la violence et celle de ses multiples manifestations. C’est là aussi que se nouent, intrinsèquement, la violence et la mort et s’enracine le destin ambivalent de l’homme qui est à la fois sujet et objet de la violence individuelle et collective.
Les articles qui figurent dans la deuxième partie – « Violence et langage »–, soulignent combien le langage est un carrefour de manifestations de la violence. Il est intersection de multiples figures de la violence et représentation du drame qui l’habite, mais aussi espace d’interprétation, de distanciation et de remodelage. Il est le lieu où l’intelligibilité – toujours mouvante – de la violence questionne celle du monde et celle de l’existence. On y voit clairement posée la question qui parcourt l’ensemble des travaux – question explicitement formulée
également dans les débats du colloque – : la mise en scène littéraire de la violence contribue-t-elle à en exorciser les effets ou, au contraire, à les accentuer ? En d’autres termes, il s’agit de s’interroger sur l’ambivalence du déploiement violent du langage, sur la portée de la transgression linguistique et sur les rapports de cette transgression avec l’inconscient.
On ne s’étonnera pas que la troisième partie – « Violence et Histoire » – rassemble le plus grand nombre d’articles. La violence est inhérente à l’histoire des peuples, elle en est sans doute le moteur. Or, la création littéraire – comme toute création d’ailleurs – a toujours maintenu un rapport étroit avec la réalité historique et sociale dans laquelle elle voit le jour. La fiction se meut sur fond d’un questionnement en prise sur les interrogations, les problèmes et les angoisses de la société qui la nourrit. Il n’est donc pas surprenant que la création littéraire du XXe siècle ait puisé abondamment son inspiration et ses thèmes dans des référents historiques généralement précis, où la violence institutionnalisée a souvent frisé l’indicible. C’est ce que montrent les articles de cette partie, qui portent tous sur des œuvres publiées au XXe siècle.
Les textes de la quatrième partie – « Violence, pulsion de mort et catharsis » – explorent quelques-uns des arcanes de l’inconscient et la stratégie de leur mise en scène littéraire. Si la pulsion de mort, sous le mode objectal, déchaîne la violence et cause des ravages irréversibles, elle peut aussi, en tant que source maîtrisée d’inspiration littéraire, jouer un rôle positif. Déployée dans l’espace de la création, remodelée dans et par les mots, la violence peut alors avoir une fonction cathartique, non sans rapport avec l’un des buts que Freud assigne à la psychanalyse, celui de soulever le voile d'amnésie qui recouvre l’histoire individuelle et l’histoire collective.
Dans la dernière partie – « Violence sadique » – sont rassemblés 5 textes qui présentent différentes modalités de l’une des figures les plus aiguës et perverses de la violence, celle qui révèle sans doute aussi le mieux ses contradictions. Ces articles montrent que la conduite sadique se meut dans l’espace de l’exacerbation, en quête d’une jouissance qui laisse le bourreau toujours insatisfait. Le sadique, en effet, vise à objectiver la conscience de l’autre. Mais, dans cette objectivation, il affirme en même temps son désir d’être reconnu comme cause par cette autre conscience ainsi objectivée. Et, ce faisant, le sadique se rend incapable de jouir pleinement de son acte puisque l’autre, objectivé, cesse d’être, sous le même rapport, intériorité. En cela consiste, en dernier ressort, l’échec de la conduite sadique, ce qui explique la rage de néantisation totale qui anime le sadique.
On saura gré aux auteurs de ces travaux de nous montrer, en se plaçant à un très haut niveau d’exigence conceptuelle, l’articulation des figures de la violence très finement analysées – ontologique, langagière, historique, pulsionnelle, sadique – avec leur mise en scène littéraire. Ils ont tous fait preuve d’un constant souci d’établir un lien explicite et pertinent entre le tourbillonnement du psychisme et ses manifestations réélaborées dans les œuvres littéraires de référence.
La violence est inhérente à la condition humaine. Elle surgit de l’épaisseur nocturne qui précède et englobe l’individu et les peuples. Elle est constitutive de l’être-au-monde de l’homme. En ce sens, elle semble inéluctable. Mais l’être-au-monde comporte aussi la culture, ce en quoi on identifie l’humain. La culture est appel à maîtriser et à transcender ce côté obscur, énigmatique, fascinant qui gronde dans l’inconscient collectif. Scruter ce fond, le dire, le représenter, c’est quelque peu le tenir en laisse. La représentation littéraire de la violence crée une distanciation par rapport aux couches les plus enfuies de l’inconscient. Lorsque l’Histoire permet ou favorise la libération de ces pulsions profondes, on frise les limites du langage. Mais le langage montre, tout au long de l’Histoire, sa capacité à récupérer le sens, même là où il a été aboli. Restaurer la puissance du langage pour dire l’indicible pourrait bien contribuer à maîtriser, au moins quelque peu, la violence.
Amadeo López
TABLE DES MATIÈRES
Amadeo López - Présentation
Violence ontologique
Juan Arana - La violencia como paradigma y clave del destino en la literatura de Borges
Meercedes Rowinski-Geurts - Terror/horror y la subsistencia/sobrevivencia del Ser en Cristina Peri Rossi
François Delprat - Violence de la nature et violence dans l’homme : Canaima de Rómulo Gallegos
Daniel Attala - Violence, réalité et idéal dans El matadero d’Esteban Echeverría
Clément Tournier - Dieu et la violence dans Diana o la cazadora solitaria de Carlos Fuentes
Lina Iglesias - Une violence originelle au cœur de la parole poétique de Julio Llamazares
Violence et langage
Marie-Claire Zimmermann - La violence sur scène en Catalogne : La sang de Sergi Belbel
Annick Allaigre-Duny - Violence et poésie: Novo puis Cuesta : « a la altura de las circunstancias »
Daniel Vives - Préhistoire et posthistoire du sujet de la violence et de la violence du sujet chez Nicanor Parra
Carmen Medrano - La violencia en el lenguaje literario de Fernando Vallejo
Carina González - La violencia de los límites : una configuración del sujeto en La estrategia de Chochueca de Rita Indiana Hernández
Marita Caballero - Violencia y lenguaje en Vasconcelos : Ulises criollo
Monique Plâa - De la fertilité de la violence dans Ceremonias del alba de Carlos Fuentes
Amélie Adde - El Guzmán de Alfarache de Mateo Alemán : atalaya de la violencia
Michèle Estela-Guillemont
La violence du langage dans le Guzmán de Alfarache de Mateo Alemán
Violence et Histoire
Ève-Marie Fell - Ordre et chaos : la violence carcérale dans El Sexto de J. M. Arguedas
Emmanuelle Sinardet - Violence et désintégration de la personnalité dans Huasipungo de Jorge Icaza
Rut Ramón Viteri - Una lectura del Pasaje en Los Sangurimas
Marie-José Hanaï - Violence réelle et violence inventée dans Historia de Mayta de Mario Vargas Llosa
Diego Vecchio - « El encalabozado » : política y poética de la violencia en El mundo alucinante de Reinaldo Arenas 219
Jean-François Daveti - El gaucho Dorda et la dynamique de la violence dans Plata quemada de Ricardo Piglia
Sébastien Rutés - L’ambivalence du motif de la violence dans Días de combate et No habrá final feliz de Paco Ignacio Taibo II
Yolande Trobat - Terrorisme d’État et violences féminines dans Viudas d’Ariel Dorfman
Sylvie Bouffartigue - Lecture œdipienne de la Guerre d’Indépendance dans Le roman cubain de la République
Florence Olivier - Fraternité républicaine et violence fratricide dans La campaña de Carlos Fuentes
María Angélica Semilla Durán - Navegar en sangre : Juan Gelman, violencia y memoria
Violence, pulsion de mort et catharsis
Sadi Lakhdari - Violence et pulsion de mort chez les enfants dans les romans de Benito Pérez Galdós
Paciencia Ontañón de Lope - Violencia, castración y muerte en Lo prohibido de Benito Pérez Galdós
Sylvie Turc-Zinopoulos - Les figures de la violence dans Tormento de Benito Pérez Galdós : Rosalía de Bringas ou l’utilisation de l’Autre en miroir de soi.
César García de Lucas - El abrazo de Eros y Tánatos en Cárcel de Amor de Diego de San Pedro
Maribel Martínez López - Violencia y catarsis en el último teatro español. Lista negra de Yolanda Pallín y Caricias de Sergi Belbel
Esteban Ponce Ortiz - Violencia y catarsis en El Salvador. Observaciones sobre lo abyecto en la poesía de Roque Dalton.
Françoise Mounlin Civil - Les maux et les mots de Julia. Dire la violence dans El Tigre y la Nieve de Fernando Butazzoni
Violence sadique
Claude Fell - Figures du sadisme dans La Fiesta del Chivo de Mario Vargas Llosa
Adelina Escamilla Sánchez - Violence sadique dans le Poema de Mio Cid
Christina Komi-Kallinikos - El jorobadito de Roberto Arlt, une figure du sadisme
Nieves Pérez Abad - Cien años de violencia y soledad en El otoño del patriarca de Gabriel García Márquez
Béatrice Ménard - Violence, poésie et mémoire dans Estrella distante de Roberto Bolaño