Ce huitième volume des « Travaux & Recherches » du GRELPP rassemble les textes correspondant aux communications présentées lors du 4e Colloque International organisé par le GRELPP à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense, les 25, 26 et 27 mars 2010, sur le thème « Les révélations du rêve dans la littérature de langue espagnole ».

Ce Colloque est venu conclure le quatrième cycle des travaux menés par le GRELPP sur ce même thème, travaux qui ont par ailleurs fait l’objet d’une publication1. Il s’agissait, dans la lignée des objectifs du GRELPP, de privilégier une approche philosophique et/ou psychanalytique des œuvres littéraires hispaniques et hispano-américaines représentant et mettant en scène le rêve.

Comme cela a déjà été le cas lors des précédents colloques2, la problématique choisie a suscité un vif intérêt chez de nombreux chercheurs de diverses spécialités de l’hispanisme. Le nombre et la qualité des propositions de communications – provenant de plusieurs pays – a amené les organisateurs à constituer, en plus des séances plénières, deux ateliers parallèles l’après-midi du 26 mars afin de pouvoir accueillir davantage de participants, tout en préservant la continuité de la réflexion et l’approfondissement des débats. Que toutes celles et tous ceux dont les propositions n’ont pas été retenues veuillent bien nous en excuser.

Les textes ici publiés montrent, par la diversité spatiale et temporelle des œuvres étudiées, à quel point l’obscurité et l’insaisissabilité du rêve fascinent l’homme, qui tente d’en percer les mystères en déchiffrant sa symbolique.

Plusieurs articles font apparaître comment, par sa résistance à la compréhension et le défi à la raison qu’il constitue, le rêve se prête à de nombreuses interrogations philosophiques ayant trait à la conception même de l’existence humaine. Par la confusion qu’il crée entre le réel et l’irréel, le rêve suscite en effet le doute sur la réalité du monde environnant et la fiabilité de la perception. La vie éveillée n’est-elle qu’un songe ? Le rêve n’est-il pas la vraie vie ?

Certains travaux mettent l’accent sur les paradoxes du rêve qui confrontent l’homme à la complexité de ses modes de pensée et posent la question des rapports intrinsèques de la vie éveillée avec l’activité onirique. Ils rappellent que le questionnement sur l’essence du rêve se trouve à la base d’une réflexion ontologique qui interroge le statut métaphysique de la réalité. Dans son traité De la divination par le sommeil, Aristote se demande si le rêve est porteur de savoir, s’il est de l’ordre de l’entendement ou de la sensibilité. Les philosophes rationalistes classiques, comme Descartes, réduisent le rêve à une trompeuse illusion sur laquelle on ne saurait asseoir l’irréfutable vérité de la pensée diurne, garante de l’existence humaine, alors que les sceptiques se servent de l’argument du rêve pour mettre en cause la certitude du monde objectif. Si les philosophes allemands de la nature ont foi en la puissance imageante du rêve, qui leur semble plus réel que l’univers vigile, Sartre définit le rêve comme « l’odyssée d’une conscience vouée par elle-même, et en dépit d’elle-même, à ne constituer qu’un monde irréel1 ». Bachelard, qui cherche la « vérité onirique profonde2 » de l’être, considère le rêve comme l’une des sources premières de l’imagination par sa faculté de transformer les images issues de la perception, ce qui lui donne sa propre dynamique de création.

D’autres communications analysent le rêve à l’aune de travaux de Freud qui, à l’aube du XXe siècle, révolutionnent l’approche et la compréhension de ce phénomène psychique en le définissant comme « accomplissement de  désir1 » et en faisant de son interprétation « la voie royale qui mène à la connaissance de l’inconscient dans la vie psychique2 ». L’herméneutique freudienne vise au dévoilement des modalités de fonctionnement de l’appareil psychique en se mettant en quête d’un sens caché pour découvrir les désirs inconscients à la base du rêve, interrogeant ainsi les limites du champ de la conscience et remettant en cause le système de pensée cartésien. Par le processus de déchiffrement qu’implique la traduction de son contenu manifeste en contenu latent, le rêve pose une énigme qui concerne l’identité même du rêveur, scindé entre son moi onirique et son moi vigile.

D’autres articles encore s’appuient sur la conception de Jung. Le psychanalyste suisse rompt avec la théorie freudienne dans la mesure où il n’interprète pas le rêve comme l’expression des désirs refoulés mais comme le produit de l’inconscient le plus profond qui cherche à se dévoiler par le biais de la symbolique onirique. Selon l’approche junguienne, les procédés de symbolisation du rêve sont propices à la découverte des archétypes qui configurent l’inconscient collectif. Dans Essai d’exploration de l’inconscient (1961), Jung prête au rêve la fonction compensatrice de relier le moi conscient à l’inconscient, équilibrant et enrichissant ainsi la psyché. Il lui accorde aussi une fonction prospective en le considérant comme une force de renouvellement au service du développement de la personnalité.

Les Actes de ce colloque témoignent aussi de la façon dont la prose narrative, la poésie et le théâtre de langue espagnole sont riches en représentations oniriques et en récits de rêve dont la construction littéraire passe par l’élaboration d’un discours qui, comme le remarque Jean-Daniel Gollut, doit « rendre compte verbalement de cette expérience étrange et si peu faite apparemment pour être pliée aux formes du langage3 ». Plusieurs communications démontrent comment l’écriture du rêve dans la création littéraire pousse à son paroxysme le questionnement sur les procédés par lesquels le rêve rêvé, fruit de l’activité psychique nocturne, se transforme, par l’inévitable truchement de la conscience, en rêve raconté ; cette transformation implique le passage de la représentation figurée d’objet sous forme de pensée visuelle à une narration constituée de pensées verbales, qui doit lutter contre le caractère insaisissable du rêve pour pouvoir le mettre en mots.

Le déchiffrement des foisonnantes images oniriques, ainsi que de leurs multiples combinaisons, atteste de la créativité du rêve. Les études concernées font ressortir la manière dont le rêve fait intervenir des processus primaires et secondaires et mêle différents matériaux – restes diurnes, pensées latentes, excitations corporelles –, déformés par le travail du rêve. Le rapprochement entre les mécanismes du travail du rêve, notamment le déplacement et la condensation, et des modalités littéraires permet de comprendre pourquoi le rêve peut se transformer en source d’inspiration privilégiée de l’écrivain, tant par la liberté de création qu’il lui procure que par la recherche de sens qu’il suppose.

Les textes de ces Actes sont regroupés en parties en fonction des principaux axes et concepts qui structurent la réflexion sur les révélations du rêve. Les titres des différentes parties et l’ordre dans lequel ils se succèdent sont les suivants :

– Rêve, psychanalyse et fiction

– La voie des songes

– Fonction narrative du rêve

– Rêve et énigme

– Rêve et fantastique

– Rêve et découverte de soi

– Rêve, désir et séduction

– Rêve et théâtre

– Rêves, cauchemars et inconscient collectif

– Poétique du rêve

– Mondes oniriques et poésie

On saura gré aux auteurs de la rigueur conceptuelle dont ils ont fait preuve ainsi que du soin qu’ils ont apporté à cerner un thème aussi fuyant que celui du rêve. Ils ont contribué de la sorte à une meilleure connaissance des multiples facettes de la mise en scène du rêve dans la littérature de langue espagnole. Les représentations du rêve apparaissent ainsi riches en révélations existentielles et ontologiques, tout en conservant la part de mystère inhérente au matériau onirique.

 

Béatrice Ménard

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Publiée: 2019-03-04

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