Cet ouvrage rassemble dix communications présentées et discutées lors des séminaires du GRELPP (Groupe de Recherches en Littérature, Philosophie et Psychanalyse), de 1997 à 1999. Ces séminaires ont été consacrés à « L’image parentale dans la littérature de langue espagnole ».

L’image parentale occupe une place importante dans la littérature hispanique et hispano-américaine. Étroitement liée à la question identitaire, elle se manifeste sous des formes diverses dans de nombreuses œuvres de fiction. Cela tient sans doute au contexte sociohistorique des auteurs de langue espagnole, mais plus profondément encore à la spécificité et à la force de l’imaginaire en tant que façon d’habiter le monde, non pas en neutralisant le réel, comme l’affirme Sartre, mais en visant le réel dans un horizon pressenti par le sujet comme un ailleurs fondateur susceptible de satisfaire la demande. Autrement dit, l’imaginaire se trouve au centre de l’existence, à la fois comme ressourcement du comportement et comme béance dans l’être, toujours menaçante. En ce sens, le questionnement sur l’image parentale ici proposé ouvre à d’autres littératures.

Le processus d’identification du sujet requiert en effet une instance – ou des instances – garantissant son ancrage dans une généalogie. Que cette instance vienne à manquer ou que sa parole soit frappée de soupçon, et voilà le processus identificatoire sapé à la base. L’individu s’en va alors à la dérive, rejeté dans les affres de n’avoir de lieu nulle part, parce que les traces du lieu fondateur se sont effacées.

Sans fondement initial, il n’y a pas de sujet parlant. La structuration du sujet se joue sur fond d’une relation métastable entre l’image que le regard de l’autre lui renvoie et la façon dont il intériorise cette image. Ce fondement peut être celui du père, de la mère, de la famille restreinte ou d’un groupe plus vaste. Car si la famille est variable suivant les civilisations et, dans une même civilisation, suivant le temps, il n’en demeure pas moins que, à travers ses multiples visages, elle joue toujours un rôle d’ancrage du sujet humain dans une histoire, et donc dans son histoire.

S'il en est ainsi, on comprend aisément combien l’évolution des mœurs et des techniques en matière de procréation peut introduire de bouleversements quant au principe fondateur et à la façon dont l’individu se situe par rapport à ce principe. Dans ce domaine, comme dans bien d’autres, les mutations qui s’annoncent entraîneront de grands changements dans la façon dont l’individu se représente son arrimage à ce que Pierre Legendre appelle l’instance logique du Tiers fondateur, autrement dit, dans la façon dont il se représente son existence de sujet parlant en tant que sujet qui a sa Raison dans l’Autre. Sans cet Autre premier, témoin et garant de son existence justifiée, le sujet parlant se trouve dans une situation analogue à celle de l’arbre sans racines. L’arbre sans racines meurt. Le sujet humain, privé de l’enracinement de la filiation, est livré aux intempéries de l’être-en-dehors, sans jamais pouvoir rentrer dedans, faute d’indices lui indiquant le chemin de la maison.

L’importance de l’instance fondatrice et de son regard sur le devenir du sujet se manifeste déjà dans le nom qui lui est attribué. Le nom assigne, en effet, une origine au sujet parlant et lui trace en filigrane sa place dans la société. De ce fait, il occupe un point clef dans la stratégie identitaire par rapport au sujet et par rapport à la collectivité. Car, comme le souligne Pierre Legendre, « l’arrimage du sujet à l’institution du nom dans l’histoire des sociétés »1 est une donnée constante, même si la façon dont cet arrimage se manifeste varie selon le temps et l’espace. Et c’est pourquoi, il convient de repérer ce « dénominateur universel » qu’est « la logique du Tiers fondateur » ou « principe totémique, qui fait du nom une pièce maîtresse des montages de la filiation »2. Et au centre de ces montages se trouve « ce qui les fait tenir : une représentation du Père – invention culturelle d’essence logique, partout à l’œuvre dans l’humanité »3. Sans cette référence première, il n’y a pas de réalisation primordiale, c’est-à-dire identitaire, de soi.

L’étude de l’image parentale, telle qu’elle se trouve mise en scène dans un texte littéraire, est donc de nature à éclairer d’un jour nouveau le sens et la structure des œuvres étudiées. Elle repose, en principe, sur l’approche des manifestations, chaque fois singulières, de ce autour de quoi se fait la structuration d’un ou de plusieurs personnages ou entités assimilables.

Les recherches que le GRELPP a menées sur cette question ont mis en évidence qu’à travers les liens d’intégration spatiale, temporelle et sociale, l’importance des relations objectales et des identifications, l’insertion dans un corps et dans un monde donné et les problèmes de changement qui accompagnent une vie, c’est toute la question de l’identité, individuelle et sociale, et des avatars de l’humain dans le monde hispanique et hispano-américain qui se trouve liée à l’image parentale.

Les travaux ici présentés proposent une interprétation de quelques œuvres d’auteurs espagnols et hispano-américains suivant une grille de lecture psychanalytique.

Ils étudient la façon dont ces auteurs mettent en scène l’image parentale, l’élaboration qu’ils en font à partir des relations intersubjectives « réelles » et fantasmatiques des personnages avec leur entourage familial et social, ainsi que la place qu’y tient ce que la psychanalyse a conceptualisé sous le nom de complexe d’Œdipe et de castration et/ou de représentations ou processus plus archaïques.

En même temps, ces travaux – classés chronologiquement, par commodité, selon la date de publication des ouvrages de référence – proposent une méthodologie d’analyse textuelle qui pourrait être féconde, également, dans d’autres espaces littéraires. Si cela est, cet ouvrage aura apporté sa contribution à la recherche dans l’un des domaines où les productions littéraires réfléchissent un certain nombre de questions essentielles qui se posent à l’individu et aux sociétés.

 

Amadeo López

1 Pierre Legende, Leçon IV, suite 2. Fondement généalogique de la psychanalyse, par Alexandra Papageorgiou-Legendre, Fayard, Paris, 1990, p. 16.

2 Idem.

3 Idem.

 

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Publiée: 2019-03-04

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