Issu d’une journée d’étude organisée par le Groupe de Recherches en Littérature, Philosophie et Psychanalyse à l’Université Paris Nanterre sur « Les écritures de la défaite », ce volume 2 de Crisol–série numérique réunit 15 contributions de chercheurs français hispanistes et américanistes. Elles portent sur l’Espagne, le Pérou, Cuba, le Chili, le Mexique, la Colombie, l’Argentine et les Philippines. Les réflexions sont menées depuis des corpus, champs théoriques et disciplinaires variés – la peinture, la littérature, la linguistique, l’histoire – et couvrent un laps de temps allant des XVIe au XXIe siècles.
L’objectif est de s’interroger sur la palette thématique et, plus encore, sur les modalités et formes de la mise en écriture textuelle ou en écriture visuelle de la défaite, afin de découvrir et d’analyser ses éventuelles caractéristiques esthétiques (y a-t-il, par exemple, des scénographies propres à la description de la défaite ?), mais aussi, surtout, ses enjeux discursifs – plus ou moins conscients, plus ou moins avoués et plus ou moins assumés. C’est-à-dire qu’à terme, on cherchera à comprendre la façon dont ces récits rétrospectifs générés par / dans l’écriture et par / dans l’image re-représentaient et finalement re-racontaient l’événement malheureux et pourquoi.
Soit pour, à la manière d’une basique catharsis, clore ou aider à clore définitivement une page douloureuse d’une histoire personnelle (parfois autour de circonstances profondément intimes et prégnantes sur le façonnement du « je » – à la manière d’une scène primitive) ou d’une histoire collective. On sait le traumatisme que peut constituer pour un peuple et subséquemment le conditionnement de son imaginaire une déroute et une capitulation militaires ; on pense à l’exemple célèbre du fameux wagon de train où fut signé l’armistice du 11 novembre 1918 entre l'Allemagne, la France et ses alliés, et qui devint pour Hitler et nombre de ses compatriotes un véritable symbole de l’humiliation que les alliés ont, de leur point de vue, infligé à leur pays. Pour effacer cette tache et refermer cette cicatrice, le dirigeant allemand s’empressant non seulement d’y ramener les Français pour signer l’armistice du 22 juin 1940, avant de le faire envoyer en Allemagne pour l’exposer à Berlin, et finalement d’ordonner sa destruction par les SS en avril 1945, un mois avant la capitulation allemande.
Soit pour la resignifier, notamment quand le passage par le filtre et le prisme de la traduction via la ré-appropriation des souvenirs offre une perspective compensatoire dont le traitement, parfois itératif et parfois fort complaisant, peut donner la matière d’une œuvre ponctuelle (un tableau, un roman, une nouvelle, un recueil de nouvelles ou même un journal), voire d’une œuvre complète et en fin de parcours d’une identité d’artiste.
Soit, à l’autre extrême, pour sombrer dans une vraie (parfois clairement maladive) ou fausse dénégation de la réalité, quand la récupération, sous l’apparence de l’exemplarisation par exemple, est principalement destinée à poser les jalons de nouveaux combats – souvent purement symboliques – et qu’il est habile de se présenter sous les traits de telle ou telle figure de vaincu et de victime.
Les écritures de la défaite est organisé en deux parties : écrire la défaite personnelle et écrire la défaite collective.
Caroline Lepage
Sommaire
I- Écrire la défaite personnelle
Françoise Aubès, « Los geniecillos dominicales et la thématique de l’échec »
David Barreiro Jiménez, « Le journal intime de Julio Ramon Ribeyro : chronique d’une défaite annoncée »
Cécile Brochard, « Roberto Bolaño “entre les immenses déserts d’ennui et les oasis d’horreur” : l’abîme, un antidote à la défaite ? »
Marie-Madeleine Gladieu, « Défaite et punition littéraire de antihéros vargasllosiens »
Caroline Lepage, « Arrogantes victoires et défaites consenties de Borges : lecture croisée de Ficciones et El hacedor »
Liliana Riaboff, «El artificio de un triunfo sobre una vida de derrotas en Memoria de mis putas tristes»
II- Écrire la défaite collective
- Chloé Gauthier, « L'essai : témoigner la défaite, représenter l'insoutenable réalité mexicaine. Le cas de Cristina Rivera Garza et Sergio González Rodríguez »
Elena Geneau, «Indagación de los destinos: vicisitudes del fracaso en Las Repúblicas de Angélica Gorodischer»
Renée Clémentine Lucien, « Mondes, langages et corps brisés : la défaite de l’ordre colonial dans La ceiba de la memoria, de Roberto Burgos Cantor »
Amélie Piel, « La novlangue dans le discours administratif lié à l’enseignement : écriture de la défaite ou défaite de l’écriture ? »
Nuria Rodríguez Lázaro, « La poésie de l’après-guerre espagnol : la défaite des vaincus et la défaite des vainqueurs »
Hélène Roy, « Les écritures indigènes de la conquête du Pérou : recréation historique et résistance »
Emmanuelle Sinardet, «Allégories de la défaite chez deux peintres philippins : Spoliarium (1884) de Juan Luna et Las vírgenes cristianas expuestas al populacho (1884) de Félix Hidalgo»
Eva Touboul, « Chroniques d’une défaite annoncée ? La guerre civile espagnole racontée par des témoins européens »
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