Ce numéro monographique de la revue Crisol, intitulé Inventions du Sud, rend compte d'un projet collectif transversal qui, pendant plusieurs années, a alimenté nos recherches au sein du laboratoire d'Études romanes. Ce fut d'abord « Actuel(s) Sud(s). Dynamiques et transformations dans l’aire romane », une grande orientation de fond qui sous-tendait les activités communes aux trois aires linguistiques et culturelles de l’unité de recherche (hispanophone, italophone et lusophone) et aux trois équipes qui les représentent : le CRIIA, le CRIX et le CRILUS. Rappelons ici, notamment, deux importantes journées-séminaires, consacrées à Invention et réinvention du sud et des suds dans les pays de langues romanes (3-4 novembre 2016), qui ont été précédées par des réunions d'un groupe de réflexion, et qui ont vu la participation d'une bonne vingtaine d'enseignants-chercheurs, doctorants et docteurs de l'Unité. Pour poursuivre nos réflexions autour de la construction et des représentations du Sud, nous avons accueilli comme professeur invité, en 2017, Roberto Dainotto (Duke University), qui a donné deux conférences : « L’éthique du Sud et l’Esprit (romantique) de l'anticapitalisme » et « Le rôle conceptuel du Sud dans le développement d'une idée de l'Europe », puis en 2018, avec le même statut de professeur invité, Antonio Sánchez Jiménez (Université de Neuchâtel) et Elsa Lechner (CES Coimbra) : leurs conférences et interventions ont porté respectivement sur la légende noire et l'approche imagologique de la question du Sud (« A propos des stéréotypes et de l'imagologie », et « Banditisme littéraire au Mexique au XIXe siècle. El Zarco, le bandit aux yeux bleus »), et sur les récits de migrations, notamment intra-européennes en direction Sud-Nord (« L’émotion de la langue : la langue comme lien identitaire et culturel dans les milieux de l’émigration » et « (Dé)constructions des dichotomies sud/nord dans des ateliers biographiques avec migrants »). Lors de ces rencontres il a beaucoup été question des « imaginaires » du Sud, ce qui nous a conduit à repenser l’orientation de notre projet et à l’envisager de façon plus collective et plus ambitieuse : grâce à la solide contribution des collègues précédemment cités, nous avons élaboré un projet intitulé ArcSouth – « Archéologies du Sud : construction et usages des Suds dans l’Europe moderne et contemporaine ». Son point de départ était le constat qu’aujourd’hui on relève dans l’espace politique européen une nette résilience des idées nationales et nationalistes, ainsi que de fortes tensions ethniques, raciales et sociales. Or, que celles-ci soient internes à l’Europe ou qu’elles mettent en jeu les rapports avec d’autres espaces politico-géographiques, ces tensions s’expriment dans un langage opposant volontiers un Nord vertueux, productif, pragmatique, et un Sud réfractaire à l’organisation moderne du travail et des relations sociales, un Nord valorisé et dominant, et un Sud dominé et subalterne. Si elle est connue comme une opposition de lieux communs, cette dichotomie continue sans aucun doute à avoir des conséquences politiques et sociales, pratiques et concrètes, comme on le voit couramment dans la vulgate économique autour de la notion d’austérité, qui va au-delà de son seul sens budgétaire, pour mettre en regard des conduites. Pourtant cette vision dichotomique ne va pas de soi ; elle exploite et reprend pour le réinventer un imaginaire sur l’Europe du Sud qui s'est constitué au fil des siècles mêlant données « naturelles » et clichés. La vision du Sud prend ainsi corps dans des représentations artistiques et des textes, et plus généralement dans des formations discursives qui participent de la construction d’une identité européenne par la spatialisation et l’ordonnancement de ses composantes. Notre projet d’« archéologie du Sud » entendait décrire les productions sémiotiques et conceptuelles du Sud qui sous-tendent ces processus symboliques, et qui en retour s’en nourrissent. Autrement dit, notre objectif était de mieux comprendre (notamment dans une perspective diachronique) les conditions d’apparition et de réapparition ainsi que la matérialisation de la dichotomie nord-sud, pour analyser les usages qui en sont faits, et les effets (attendus et/ ou avérés) de ces usages, dans l'Europe moderne et contemporaine. ArcSouth a été présenté en 2017 en vue de l’obtention d’une aide de l’Agence Nationale de la Recherche pour le Montage de Réseaux Scientifiques (MRSEI/ANR), en partenariat avec huit autres partenaires européens (universités de Cologne, Bologne, Madrid, Cadix, Neuchâtel, Coimbra, Bari, Cagliari). L'Agence Nationale de la Recherche a reconnu l’intérêt de notre projet, en constatant qu’il correspondait bien aux préoccupations sociales et européennes actuelles, notamment du fait que nous proposions de nous pencher sur l'image des Suds à travers les migrations et le métissage, mais aussi que nous prévoyions de produire des instruments méthodologiques et des concepts nouveaux ; son format, cependant, ne correspondait pas aux exigences des gros projets H2020 que nous aurions dû viser. Nous avons préféré poursuivre dans d'autres directions. Notre grand axe de recherche a pu se décliner dans d'autres projets transversaux (par exemple, le projet UPL Mondialités mineures, vers une géopolitique des savoirs et des littératures qui a donné lieu à la récente anthologie Penser la différence culturelle du Colonial au Mondial, où la question du Global South est très présente), ou par aire linguistique (par exemple, un volume de la revue « Narrativa » plus spécifiquement consacré à l'Italie contemporaine, Les nouvelles frontières du Sud, est sorti en 2018). Le projet commun de l'UR Études Romanes a trouvé son aboutissement avec le colloque Inventions du Sud. Quand le Sud construit le Sud, quand le Sud construit le Nord, quand le Sud se construit comme Nord... (champs hispanophone, lusophone, italophone), organisé à Nanterre en juin 2019, dont le présent volume publie une sélection des communications. Sans vouloir mettre un point final à nos réflexions et nos recherches, ce colloque – et partant ce volume – se propose de faire le point sur les acquis théoriques et conceptuels, sur les méthodologies, sur les problématiques que nous avions abordées tout au long de ces quatre années. Dans notre rôle de directeurs du laboratoire Études Romanes au cours de la période concernée, nous avons accompagné et animé ces réflexions et ces recherches, nous avons participé à l'organisation scientifique des manifestations organisées. C'est donc avec satisfaction que nous voyons se concrétiser en cet ouvrage les résultats de nos travaux collectifs.

Silvia Contarini et Christophe Couderc

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SOMMAIRE

Françoise Dufour (La Langagière), «Du «Nord» au «Sud»: translation terminologique et impérialisme du sens»

Lorenzo Ravano (Université Paris Nanterre), «La notion de global South et l’histoire de la pensée politique»

Ramona Onnis Université (Paris Nanterre – EA 369 / CRIX), «Le Sud est-il le lieu de l’altérité? Pensées méridienne et antiméridienne»

Alessandro Benucci (Université Paris Nanterre – CRIX), «“Il Bel paese”: variations sur ce thème entre l’oubli et le souvenir, le passé et l’avenir»

Margherita Marras (Avignon Université - CRIX, Université Paris Nanterre), «Les différentes représentations du Sud et des gens du Sud dans les discours léguistes (Ligue du Nord et Ligue pour Salvini Premier)»

Giuliana Benvenuti (Università di Bologna), «Miti di Sicilia. Il commissario Montalbano di Camilleri e lo stereotipo dell’uomo mediterraneo»

Dalila Chine-Lehmann (Université Paris Nanterre), «Le refus de "n'être rien". Représentations du Sud dans les manuels de Sciences Sociales mexicains (1972-1988)»

Marie Lecouvey (Université Paris Nanterre) et Helia Bonilla (Dirección de Estudios Históricos, INAH México), «Le Mexique, pays du Nord? Auto-représentation des Mexicains dans deux publications illustrées (1854)»

Jorge Villaverde (CRIMIC- Sorbonne Université), «Une approche imagologique du Sud: voyage et tourisme dans un empire informel»

Antonio Sánchez Jiménez (Université de Neuchâtel), «Estereotipos nacionales en la novela bizantina española de entresiglos: la Selva de aventuras de Jerónimo Contreras (1582) y El peregrino en su patria (1604) de Lope de Vega»

Sandra Assunção Université (Paris Nanterre – UE 369/ CRILUS), « L’invention de la nation métisse dans Gabriela, girofle et cannelle de Jorge Amado»

 

Crisol remercie les réviseurs externes de ce volume :

Silvia CONTARINI (Université Paris Nanterre)

Graça DOS SANTOS (Université Paris Nanterre)

Magali DUMOUSSEAU (Avignon Université )

Laurent LOMBARD (Avignon Université)

Franco MANAI (University of Aukland)

Giulia MANERA (Université de Guyane)

Carlos TOUS (Université de Tours)

 

Crisol série numérique / ISSN : 2678-1190

Directrice de la publication : Caroline Lepage

200 avenue de la République 
92000 Nanterre

c.lepage@parisnanterre.fr

Publiée: 2021-01-13