• Féminismes au XXIe siècle – Écritures et pratiques transgressives en Espagne et en Amérique Latine
    No 12 (2020)

    Le 8 mars 2020, juste avant l’éclatement de la crise mondiale liée à la Covid-19 et le confinement de deux tiers de l’humanité, les féministes remplissaient à nouveau les rues, en particulier dans les grandes villes latino-américaines et à Madrid. Peut-être, comme l’écrit Paul B. Preciado, étions-nous à ce moment-là à la veille d’une révolution mondiale, d’un «nouveau cycle révolutionnaire transféministe décolonial» (1).  Ces dernières années, en effet, nous avons assisté à une puissante réinvention des féminismes, à la concrétisation d’une troisième, voire quatrième vague d’un mouvement de plus en plus hétérogène et complexe, au point qu’il est difficile désormais de le définir, tout comme il est aventureux de saisir les subjectivités qui s’y reconnaissent (2).  Le déplacement et la complexification du sujet politique femme, l’appropriation du cyberespace, l’intersectionnalité de genre, race et classe, l’inclusion des subjectivités queer et trans, la réappropriation, voire la réinvention du corps, les nouvelles épistémologies pour dire des sexualités et des identités multiples et non normatives, le renouvellement des formes d’activisme et d’expression politique (en particulier en ce qui concerne la dénonciation de la violence machiste), le croisement avec les luttes anticapitalistes et décoloniales… voici quelques caractéristiques de ce mouvement qui prenait l’espace public juste avant l’éclatement de la crise. Or, comme le met en évidence l’analyse qu'en fait Preciado, si les nouveaux féminismes placent à nouveau les définitions du corps au centre du débat politique, autant que la crise que nous traversons le fait tout autant, transformant le corps en nouveau champ de bataille —ce corps désormais suspect et obligé de se distancer, de s’isoler des autres—, fragmentant les luttes, dynamite les possibilités de révolte. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’extrême droite espagnole a tout de suite accusé les manifestations du 8 mars à Madrid d’être un puissant vecteur de propagation du virus (3).  La métaphore du corps comme vecteur de contamination, du corps dangereux, sale, que les communautés homosexuelles ont bien connu en particulier pendant les années de la crise du VIH, réémerge avec force et se lit désormais à une échelle généralisée et planétaire. 

    Dans ce contexte, ce dossier se présente comme un instantané des épistémologies, pratiques et langages féministes à un moment très précis de l’histoire du mouvement. Un moment d’une inventivité extraordinaire, que ce soit au niveau des langages, des pratiques, des questionnements ou de son articulation avec le politique. En particulier, les différents articles insistent d’une façon ou d’une autre sur la puissance transgressive de ces féminismes qui font éclater les normativités qui définissent les corps et les subjectivités, en particulier le binarisme de sexe et de genre, transgression qui prend ici un sens profondément politique puisqu’elle constitue à la fois un outil de dénonciation des oppressions et de dépassement de celles-ci.

    L’artivisme, qui combine pratique artistique et militantisme, se développe avec force dans les milieux féministes latinoaméricains (4) et constitue un outil particulièrement riche et original, en particulier pour les collectifs LGTBQ+ : il permet de repenser les corps et les sexualités tout en constituant à la fois un moyen d’expression des nouvelles épistémologies, de dénonciation et de déconstruction des normativités binaires. Comme le décrit l’article d’Alexia Grolleau, l’hétérosexualité normative est ainsi mise en évidence et moquée dans la performance Post-porno infinito filmée par la réalisatrice chilienne Katia Sepúlveda. L’artiste se livre ici à un détournement ironique des codes de la pornographie qui fait éclater non seulement le binarisme hétérosexuel, mais aussi l’énonciation des lieux du plaisir ou la division entre l’humain et la machine. L’artivisme de valeria flores, étudié par Thérèse Courau, prend un sens plus explicitement politique en pointant du doigt les continuités autoritaires entre la dictature et la démocratie en Argentine et au Chili. Son travail sur la visibilisation des formes de vie et des subjectivités non cis-hétéro-patriarcales met en lumière la violence inhérente à la culture hétéropatriarcale véhiculée, en particulier, par l’école, laquelle fonctionne comme un puissant vecteur de violence symbolique (5) qui discipline à la fois les corps, les subjectivités et les désirs en rejetant du côté de l’abjection les identités non normatives. Tout aussi politiques sont les performances post-pornographiques de l’artiste chilienne Maria Basura analysées par Eléonore Parchliniak: sa performance Fuck the fascism rend explicite un système de domination multiple (capitalisme, colonialisme, fascisme) à travers le “viol” des statues de colonisateurs et dictateurs. De cette façon, la performance inverse la logique du viol de guerre et met à nu la violence et l’horreur de l’histoire qui sous-tend les sociétés post-coloniales et néolibérales dans lesquelles nous vivons.

    Si ces articles explorent les potentialités de dénonciation et d’inventivité du Post-porno relu à la lumière de l’artivisme, Emmanuelle Sinardet revient plutôt aux racines de cet artivisme à travers l’analyse d’une des œuvres les plus polémiques du collectif de femmes boliviennes Mujeres creando, pionnières de cette forme d’expression à la fois artistique et politique. L’analyse de l’œuvre Milagroso altar blasfemo, ainsi que des polémiques qui ont accompagné son exhibition à Quito en 2017, explore les potentialités épistémologiques de cet artivisme féministe en le resituant dans une histoire longue de lutte contre la domination coloniale. Le choix de la forme du retablo, le détournement des codes et des langages de la religion catholique, le déplacement du masculin (le Christ) par une vierge aux allures de déesse païenne, font de cette œuvre un lieu complexe où se combinent dénonciation des différentes institutions (l’Eglise catholique et le système colonial marchant ici main dans la main) qui ont historiquement opprimé les femmes, en particulier indigènes, et revendication féministe. Les polémiques suscitées par l’œuvre mettent aussi en évidence la dispute entre des langages et des visions du monde radicalement incompatibles: la transgression féministe apparaît ainsi comme un puissant révélateur des antagonismes qui articulent le champ symbolique et politique dans la société équatorienne.

    Les féminismes de cette «quatrième vague» font ainsi de la transgression et du détournement une arme politique et utilisent aussi le «retournement du stigmate», qui donna lieu entre autres à la dénomination même de queer. Le sujet qui se construit à travers ces luttes, comme le signale Marie-Agnès Palaisi en suivant Hannah Arendt dans son analyse du sujet juif, est un «paria conscient», qui fait du ghetto où l’on tente de l’enfermer un espace d’empowerment. Dans la lecture que fait l’auteure de Minificción para niñas LGBTI de Sayak Valencia, le cyberespace fonctionne ainsi comme un espace imaginaire de liberté, une hétérotopie où récupérer une enfance et une identité volées, où ces sujets qui ont été construits comme «inappropriés», mais se revendiquant comme «inappropiables» par la norme hétérosexuelle peuvent réécrire leur propre «herstory». C’est encore la transgression qui est au cœur de la pratique et des langages féministes du collectif madrilène des Scum Girls étudié par Karine Bergès; des féministes très jeunes, pour lesquelles le cyberespace fonctionne à la fois comme une école de féminisme et comme un lieu d’expression et d’énonciation. Or, l’auteure s'interroge sur le sens et la portée politique de la transgression portée par ces jeunes femmes, qui se révèle parfois superficielle : elle consiste surtout en la spectacularisation des corps et en la production de slogans et performances qui peinent à aller au-delà de la provocation, ce qui pourrait être expliqué par le profil sociologique des jeunes militantes. On trouve ces mêmes questionnements dans l’article de Caroline Lepage sur la célèbre personnage de BD espagnole Lola Vendetta. Si le personnage créé par Raquel Riba Rossy (et qu’on peut interpréter comme étant en fait son alter ego) a contribué à populariser le féminisme en Espagne, et a provoqué également les réactions misogynes et machistes de ses détracteurs, il s’agit finalement, sous ses apparences transgressives, d’un féminisme mainstream et édulcoré, qui ne met en question ni l’hétéronormativité obligatoire, ni le système capitaliste, ni même, finalement, une sentimentalité traditionnelle fallocentrée, comme le montre l’auteure dans une analyse très complète qui prend en compte non seulement l’analyse narrative et iconographique de la BD, mais aussi ses conditions de production, sa réception et sa mise en scène médiatique.

    On est loin ici, finalement, des risques pris par les performeuses et artivistes qui réinventent un nouveau langage et de nouvelles corporalités et sexualités, provoquant à la fois fascination et rejet, questionnant en profondeur un système qui broie la différence, mettant à nu les différentes oppressions et dominations dans lesquelles nous sommes toutes et tous imbriqués. Finalement, à travers ce dossier on peut relire à nouveaux frais les questions déjà posées par les féministes des années 1970: le privé (le désir, les sexualités) est politique et nos corps sont, aujourd’hui plus que jamais, un champ de bataille.

     

    Mercedes Yusta, Université Paris 8

     

    1. Paul B. Preciado, «Nous étions sur le point de faire la révolution féministe… et puis le virus est arrivé», Bulb, n°2, 27 avril 2020, https://bulb.liberation.fr/edition/numero-2/nous-etions-sur-le-point-de-faire-la-revolution-feministe/, consulté le 22 mai 2020.

    2. Transfeminismos. Epistemes, fricciones y flujos, Tafalla, Txalaparta, 2013; Nuria Varela, Feminismo 4.0. La cuarta ola, Penguin Random House, 2019.

    3. Montserrat Galcerán, « El 8 de marzo como chivo expiatorio », El Salto diario, 3 de abril de 2020, https://www.elsaltodiario.com/opinion/montserrat-galceran-8-de-marzo-como-chivo-expiatorio, consulté le 22 mai 2020.

    4.  Julia Antivilo, Entre lo sagrado y lo profano se tejen rebeldías. Arte Feminista nuestroamericano. Bogotá, desde abajo, 2015.

    5. Dans un sens bourdieusien : Pierre Bourdieu et J.-C.Passeron, La reproduction. Éléments pour une théorie du système d’enseignement. Paris, Minuit, 1970.

     

    Postscriptum des coordinatrices:  après la mise en ligne de ce volume, le hasard des rencontres nous a fait solliciter un travail sur le reggaeton et le féminisme à Anne Monssus. Ce qui explique qu'il ne soit pas évoqué par Mercedes Yusta dans son texte de présentation.

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    SOMMAIRE

    Éléonore Parchilniak (Université Paris Nanterre), «La post-pornographie comme instrument politique»

    Alexia Grolleau (Université Paris Nanterre), «Post Porno infinito : un zèbre travesti, un aspirateur, un gode ceinture et du lubrifiant, une performance contre-sexuelle»

    Karine Bergès (Université Paris-Est Créteil), «“Somos malas, podemos ser peores”. Transgresión y rebeldía del colectivo madrileño Scum Girls»

    Caroline Lepage (Université Paris Nanterre), «Le féminisme mainstream – ses formes, ses discours et sa réception : le cas de Lola Vendetta»

    Emmanuelle Sinardet (Université Paris Nanterre), «1. E. SINARDET, « Féminisme, blasphème et polémique... » Féminisme, blasphème et polémique : L’exposition à Quito (29 juillet-29 octobre 2017) du Milagroso Altar Blasfemo par le collectif bolivien Mujeres Creando»

    Thérèse Courau (Université Toulouse Jean Jaurès Centre d’Études Ibérique et Ibéro-américaine –CEIIBA), «Questionner la normalisation sexo-générique : l’activisme artistique de valeria flores»

    Marie-Agnès Palaisi (Université Toulouse Jean Jaurès Centre d’Études Ibérique et Ibéro-américaine –CEIIBA) «El ciberespacio : contraespacio queer frente a la « amenaza del ghetto ». Intento de lectura transfeminista de Hannah Arendt»

    Anne Monssus (Université Paris Nanterre), «Le reggaeton: d’un genre musical et chorégraphique machiste à une tribune féministe»

    Sophia Sablé (CEIIBA, Université Toulouse Jean-Jaurès), «Archivo rosa: archive en ligne de la lutte pour l’avortement en Argentine et processus de subjectivisation» 

    ***

    Compte-rendu de lecture

    Compte rendu de lecture (Marc Zuili): Francisco Gimeno Menéndez, Historia antropológica de los romances hispanos

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  • Imaginaires et poétiques du corps
    No 11 (2020)

    Imaginaires et poétiques du corps, 11e livraison de CRISOL, réunit les contributions des chercheurs nanterrois membres du GRELPP, ainsi que celles d’autres universitaires français et étrangers. Ces contributions proposent, dans des registres divers –littérature, mais également arts plastiques, arts visuels– une lecture plurielle d’un sujet aussi ambitieux, par son amplitude sémantique et son histoire, que le corps. Rappelons simplement que cette question philosophique essentielle renvoie au débat infini sur le binôme corps/esprit, lequel avance dans l’histoire de la pensée occidentale comme un vieux couple mal accordé –«d’un côté j’ai une claire et distincte idée de moi-même, en tant que je suis seulement une chose qui pense et non étendue, et que d’un autre j’ai une idée distincte du corps, en tant qu’il est seulement une chose étendue et qui ne pense point», selon Descartes dans la sixième méditation–, jusqu’à ce que la phénoménologie apaise ces tiraillements épistémologiques en réconciliant les deux partis: le corps est cet être-au-monde qui nous définit.

    Les travaux rassemblés dans ce numéro interrogent ainsi dans la variété de leurs supports et la diversité des aires culturelles et géographiques du monde hispanophone, un imaginaire et des représentations où s’entrecroisent, se répètent, réapparaissent, thèmes et motifs comme de grands invariants. Mais, par la fantaisie et l’imagination, la littérature et l’art permettent toutes les transgressions et les approches les plus déraisonnables pour mieux cerner ce sujet/objet, ce qui nous fonde et qui tient et contient notre identité, comme on le lira dans les communications de la première section: Aux confins de l’identité ou les limites du corps.

    Dans la nouvelle de Gabriel García Márquez «La tercera resignación», étudiée par Andra Barbu, le narrateur post-mortem réussit l’irréalisable, soit être mort et se regarder mort, raconter la mort du dedans. Abjects, sales, souillés d’excréments, d’urine, misérables rejetés, quelle humanité pour ces corps qui pénètrent dans «les territoires de l’animal», pour reprendre la formule de Julia Kristeva? Voilà ce sur quoi s’interroge Davy Desmas à travers la lecture de Temporada de huracanes (2017), de l’écrivaine mexicaine Fernanda Melchor. El desierto y su semilla (1998), de l’Argentin Jorge Barón Biza, un récit autofictionnel qui relate la défiguration au vitriol de la mère de l’auteur, fait l’objet de deux communications. Pour Benoît Coquil, dans cette «Biografía carnal», ce «texto rostro», seule la disharmonie du grotesque peut dire le visage vitriolé et vainement reconstruit de la mère, tandis que Marián Semilla Durán estime, dans une approche psychanalytique, que la défiguration rend impossible pour le fils toute identification avec la mère. Le corps au-delà des limites de ce qui est présentable est celui que met en et sur scène l’artiste catalane Angélica Liddell, libérant dans une esthétique de l’obscène toute sa violente immanence pour Laurent Gallardo. Dans le registre de la littérature personnelle, Françoise Aubès met en parallèle deux récits: celui de l’écrivain péruvien Julio Ramón Ribeyro, qui décrit avec détestation et fascination son corps malade et pitoyable dans son journal, et celui d’Asunta, Indienne quechuaphone, qui évoque avec pudeur et résignation, l’héritage d’une culture chrétienne étayée par le péché et la punition, les souffrances physiques inhérentes, selon elle, à sa condition biologique et culturelle; sujet développé dans la deuxième section : Stigmates et reconstruction: le corps au féminin.

    Sang, impureté et souillure apparaissent comme les marqueurs identitaires de personnages féminins, par exemple celui de Tamara, héroïne de Escenario de guerra (2000), de l’auteure chilienne Andrea Jeftanovic; roman-théâtre semblable au théâtre de la cruauté analysé par Éléonore Parchliniak. Les violences imposées aux corps des femmes, legs d’un patriarcat ancestral, sous-tendent les poésies de María Castrejón, selon Claire Laguian; mais la poétesse retourne cette violence: l’écriture se change en rébellion et catharsis. Dans la Caraïbe, Nancy Morejón s’emploie à déconstruire, dans ses poésies, l’image de la femme noire réduite à sa sensualité, stéréotype issu de la colonialité; le corps devient mémoire de l’esclavage, écrit Sandra Hernández. La réappropriation de ces corps féminins à l’identité préformatée passe aussi par la découverte du désir: comme dans l’irrévérencieux Devocionario, dans l’esprit de la movida espagnole des années quatre-vingt de Anna Rosetti: la masculinité du Christ en croix suscite chez une petite communiante de huit ans les premiers émois, comme l’analyse Nuria Rodríguez Lázaro.

    La troisième section Habeas corpus: mémoire des disparus et pensée décoloniale montre comment la gestuelle corporelle, ainsi que les performances à visée politique tentent de redonner corps aux disparus des dictatures argentine et chilienne dans la communication de Paula Klein, aux victimes du Conflit Armé colombien dans celle de Luis Carlos Toro Tamayo; la performance –comme l’innovante performance visuelle REM (Romantic Eyes Movement) de l’Équatorien Santiago Reyes– peut être aussi, comme le démontre Ezequiel González, un geste décolonial dans l’esprit de la Futurité latinx.

    Dans le corps des textes, quatrième section, aborde la dimension narratologique et textuelle du corps en littérature. Le corps est en premier lieu le dispositif essentiel dans la construction du personnage comme l’analysent de nombreuses communications : celle de Caroline Lepage décrypte le personnage de Mario Conde, enquêteur au corps chétif et bien peu glorieux, à l’instar de la Cuba à bout de souffle du «periodo especial» dans les romans policiers de Leonardo Padura. Peau semblable à l’écorce des arbres, peau écorchée d’où coule le sang semblable au latex des hévéas amazoniens, tel est le corps du cauchero Clemente Silva construit dans La Vorágine (1924) du Colombien José Eustasio Rivera analysé par David Barreiro. Dans la même lignée, le corps souffrant, christique de Roger Casement, dans El sueño del Celta (2010), de Mario Vargas Llosa est, selon Sabrina Wajntraub, une mise en abime de la colonialité qui martyrise et sacrifie le corps des indigènes travaillant pour le compte de la Peruvian Amazon Company.

    Dans le fonctionnement du texte, la notion d’ethos permet de débusquer la corporéité du narrateur/auteur, car tout discours possède une voix et la voix qu’analyse Gersende Camenen dans la violence des mots est celle du Colombien Fernando Vallejo, auteur de La virgen de los sicarios (1994). Laura Gentilezza s’intéresse au geste littéraire, celui de la main qui dessine, écrit, agence des photos à l’intérieur de romans du Cône Sud, les convertissant en textes hybrides. Si l’image du corps de façon métonymique suggère dans de nombreuses communications celle d’un pays, d’une Nation, bien souvent en décomposition, elle renvoie aussi au texte en lui-même, lequel déploie ses disjecta membra comme un grand organisme vivant. Corps textuel multiforme pour Olga Lobos, le roman de Julio Cortázar Rayuela (1963) en est le paradigme, tandis que dans les romans de Josefina Vicens –El libro vacío (1958) et Los años falsos (1982) analysés par María Luna Chávez et Víctor Díaz Arciniega–, corps et écriture sont pour les deux personnages principaux les marqueurs de leur solitude et leur masculinité mexicaines.

    Enfin, ces diverses approches du corps et de ses représentations seraient incomplètes sans Le regard du peintre, titre et objet d’étude de la cinquième et dernière section de ce numéro. Depuis des siècles, la peinture a imposé à notre œil les images de la beauté classique des académies humaines. Or, dans les deux communications consacrées à ce médium, le peintre rompt intentionnellement avec les codes esthétiques de son époque: c’est le cas de Leonardo Alenza y Nieto montrant le ridicule du corps décharné du suicidé romantique dans Los Románticos (1839), comme l’explique Sylvie Turc-Zinopoulos; et c’est l’option de Goya qui, rompant avec l’esthétique du sublime de ces premiers tableaux, choisit le grotesque le plus noir pour imposer les corps monstrueux des Désastres de la guerre dans la communication de Marc Marti.

    Puisse la lecture de ces communications permettre d’entrevoir un peu de la vertigineuse spécularité d’un sujet d’étude comme le corps. Mais retenons aussi l’aimable définition qu’en fait Michel Foucault: le corps «ce petit noyau utopique à partir duquel je rêve, je parle, j’avance, j’imagine, je perçois les choses en leur place».

     

    Françoise Aubès

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    SOMMAIRE

    Aux confins de l'identité ou les limites du corps 

    Andra Barbu (Université Rouen Normandie), «La voix cachée de nos cadavres. “La Tercera Resignación” de Gabriel García Márquez»

    Davy Desmas (Université Toulouse Jean Jaurès), «Aux frontières du corps propre. De l’abjection comme stratégie de domination dans Temporada de huracanes (2017), de Fernanda Melchor»

    Benoît Coquil (Université de Picardie Jules Verne), «Desfiguración y configuración del grotesco en El desierto y su semilla de Jorge Baron Biza»

    María A. Semilla Durán (Université Lumière Lyon 2), «Rostro y metáfora El desierto y su semilla, de Jorge Barón Biza. Destrucción y reconstrucción de identidades»

    Laurent Gallardo (Université Grenoble Alpes), «Le théâtre d’Angélica Liddell: l’obscène et son double (Considérations à propos de Que ferai-je, moi, de cette épée ?

    Françoise Aubès (Université Paris Nanterre), «Écriture personnelle et image de soi: Asunta et Julio Ramón Ribeyro»

    Stigmates et reconstruction:  le corps au féminin

    Eléonore Parchliniak (Université Paris Nanterre), «Escenario de guerra: un autre “théâtre de la cruauté”»

     Claire Laguian (Université Gustave Eiffel), «Violences faites aux corps chez María Castrejón: la poésie comme possible survie»

    Sandra Monet-Descombey Hernández (Université de Lyon 2), «De la réécriture du corps féminin comme espace mémoriel, à la permanence du poétique»

    Nuria Rodríguez Lázaro (Université Bordeaux Montaigne), «Devocionario (1985) de Ana Rossetti o la erotización del cuerpo de Cristo»

    Habeas corpus: mémoire des disparus et pensée décoloniale

    Paula Klein (ENS), «Le corps comme archive: activismes artistiques dans le Cône Sud»

     Luis Carlos Toro Tamayo (Universidad de Antioquia), «Archivo, memoria y cuerpo, El rostro de las víctimas en la construcción de las memorias»

    Ezequiel N. González (Université de Columbia), «À travers nos yeux: Santiago Reyes, la futurité Latinx et la performance contre-visuelle»

    Dans le corps des textes

    Caroline Lepage (Université Paris Nanterre), «Traitement discursif du corps: portrait de Mario Conde en superhéros et Christ cubain»

    David Barreiro Jiménez (Université Paris Nanterre), «La trame arborescente et le corps dans La vorágine: une lecture christique du personnage Clemente Silva»

    Sabrina Wajntraub (Université Paris Nanterre), «L’écriture du corps de Roger Casement dans la deuxième partie de El sueño del celta (2010) de Mario Vargas Llosa: modalités et enjeux»

    Gersende Camenen (Université Gustave Eiffel), «La palabra furiosa: violencia y melancolía en La Virgen de los Sicarios»

    Laura Gentilezza (Université Paris-Est Créteil), «El gesto literario: ideas sobre el cuerpo a partir de algunos autores contemporáneos del Cono Sur. Costamagna, Ronsino, Delgado, Celedón»

    Olga Lobo (Université Grenoble-Alpes), «Un libro, dos libros, muchos libros. Rayuela, una historia de cuerpos mutantes»

    Marisol Luna Chávez (Universidad Autónoma Benito Juárez de Oaxaca) et Víctor Díaz Arciniega (Universidad Autónoma Metropolitana), «Cuerpo textual e identidad simulada en El libro vacío y Los años falsos de Josefina Vicens»

    Le regard du peintre

    Sylvie Turc-Zinopoulos (Université Paris Nanterre), «Romantisme, folie et corps dans Los románticos (1839) de Leonardo Alenza y Nieto Peinture de genre et littérature de mœurs»

    Marc Marti (Université Côte d’Azur), «Goya et le corps: du sublime à l’horreur»

    ***

    Comptes-rendus de lecture

    Compte-rendu de lecture (Emmanuelle Sinardet): Élodie Vaudry, Les arts précolombiens. Transferts et métamorphoses de l’Amérique latine à la France, 1875-1945

    Compte-rendu de lecture (Marc Zuili): Françoise Richer-Rossi, Alfonso de Ulloa, historiographe. Discours politiques et traductions

     

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  • Les écritures collectives: poétiques et pratiques de la collaboration et du partage
    No 10 (2020)

    Dans son compte rendu du livre « Nous est un autre. Enquête sur les duos d’écrivains » (Michel Lafon et Benoît Peeters, 2006), Jan Baetens analysait le « dévoilement » des processus et des implications de l’écriture à quatre mains qui était opéré dans l’ouvrage. Soulignant que les analyses proposées ouvraient des perspectives inédites et donnaient envie de les prolonger, soit en multipliant les exemples, soit en élargissant leur portée même, il précisait : « l’écriture en collaboration émerge petit à petit dans ce livre comme un véritable continent caché » (Critique, 2006). De fait, l’expression elle-même s’entend implicitement comme une pratique relativement inhabituelle et qui s’oppose au « modèle » communément admis de l’écrivain, seul responsable de la rédaction de son œuvre : l’écriture en collaboration a longtemps  constitué un impensé de la poétique. Le présent numéro de Crisol se propose de poursuivre l’approfondissement de cette notion, entendue comme tout type d’écriture résultant d’une collaboration/d’une participation – concertée ou non, revendiquée ou issue de circonstances particulières – entre plusieurs figures d’auctorialité. À travers une quinzaine de contributions consacrées aux mondes hispaniques, ce sont les différentes facettes des productions culturelles « savantes » ou « populaires », « traditionnelles » ou « industrielles » qui sont interrogées au prisme d’un « travailler ensemble » (au sens étymologique du mot collaboration), envisagé de manière diachronique dans les périodes moderne et contemporaine. La mise en relief des évolutions de ces « écritures collectives » qui s’inscrivent dans une histoire longue, qui se poursuit aujourd’hui – par exemple avec la prolifération des séries (sans que le phénomène de la série soit pour autant une nouveauté) ou la production d’œuvres « transmédiatiques » qui ont pour conséquence de dissoudre la figure du créateur au bénéfice d’une pluralité d’acteurs – montre l’intérêt d’une telle réflexion. L’ensemble des contributions interroge donc la notion d’auteur (autorité, auctorialité, auteurité sont, pour le français, autant de termes qui se proposent d’affiner le questionnement), la réévaluation de l’instance d’écriture incitant aussi à considérer l’œuvre non comme immuable mais plutôt comme une continuation ou une suite, travaillée par des processus de recomposition, le tout nourrissant la vision d’un « plurivers » culturel, riche, complexe et très dynamique.

    Les formes, les mécanismes et les enjeux des écritures collectives en littérature sont abordés sous plusieurs angles. Se situant dans le sillage des travaux de Lafon et Peeters, une première approche est celle de l’analyse de romans écrits par des duos d’écrivains (comme Silvina Ocampo et Bioy Casarès ou Julio Cortázar et Carol Dunlop). Démonstration est faite que si la dimension ludique est une composante indiscutable de la collaboration (celle du lecteur incluse) dans la production contemporaine, cette dernière ne s’y limite pas. L’incidence est aussi notable sur la poétique elle-même du récit, qui peut donner lieu à une « collaboration au carré ». Mais, surtout, la collaboration révèle l’écrivain à lui-même.

    Une autre perspective est celle de l’anthologie – originelle « collection de fleurs choisies » – étudiée comme production d’une écriture collective. Les anthologies mexicaines (de Lauro Zavala) présentées dans un des articles sont constituées de micro-récits fictionnels. Le lecteur est donc soumis à la pré-lecture de l’anthologiste-cueilleur qui sélectionne ses feuilles et ne se contente pas de les compiler. Assemblés, ces micro-textes posent la question de l’un et du multiple, de la continuité et de la discontinuité et de l’intertextualité. Mais les anthologies peuvent aussi être le fruit d’une écriture collective à tous les sens du terme lorsqu’elles émanent de collectifs, en l’occurrence d’écrivaines, (revendiqués comme tels) et qu’elles réunissent la production de femmes de toute condition et aux profils très divers. Tel est le cas des anthologies ¡Basta! Mujeres contra la violencia de género, issues d’un projet interaméricain d’écritures collectives. Enfin, une troisième déclinaison de la forme anthologique a trait à une part immatérielle de la culture, à savoir les créations littéraires orales cubaines, dont la collecte a été réalisée entre 1984 et 1990. L’intra et l’intertextualité qui nourrissent les variations qui apparaissent dans ces productions sont autant d’éléments partagés de l’héritage littéraire de l’île. Il convient d’y ajouter la collaboration entre le narrateur et le transcripteur qui opère une « traduction » de la forme orale à l'écrit, complétée par un appareil de notes associé à une origine géographique. Avec des objectifs différents (jeu intertextuel, transtextuel, mouvements féministes, patrimonialisation des objets culturels), ces anthologies induisent un nouveau regard et de nouvelles lectures sur les objets fractals par excellence qui en résultent.

    La « pratique seconde » qu’est la traduction peut aussi relever d’une écriture en collaboration à travers les liens, parfois complexes, qui se nouent entre écrivain et traducteur. C’est ce que montre l’analyse de la relation entre l’auteur argentin, Manuel Puig, et Albert Bensoussan lors de la traduction en français du roman El beso de la mujer araña (1977-1979). Au-delà de l’évocation des conditions matérielles et de la méthode de travail, l’étude des mécanismes de « l’écriture traductive » de Bensoussan met en relief la dimension affective des échanges et les projections imaginaires et symboliques qui alimentent le travail commun, dans une opération de « transmutation des voix ».

    L’un des intérêts de cette livraison de Crisol tient aussi, nous l’avons indiqué plus haut, à la prise en compte de la dimension diachronique dans l’essai de définition et les évolutions des acteurs /auteurs de ces écritures en collaboration, qui se sont aussi déployées dans le nouvel espace de diffusion de l’information écrite qu’a constitué la presse à partir du XVIIIe siècle.

    L’étude d’un cas précoce dans la presse culturelle espagnole (Variedades de ciencias, literatura y artes) permet de mettre au jour le fonctionnement et la pratique d’une écriture collective dans ce périodique. Dans les premières années du XIXe siècle, de manière inédite, une modalité de travail collectif a été envisagée, avec la constitution d’une sorte d’équipe de rédaction avant la lettre, avec des domaines de spécialité divers alors qu’à l’époque, le journal était généralement assumé par un seul nom quand celui-ci était mentionné (les contenus fussent-ils écrits par d’autres). Un siècle plus tard, dans les années 1920, un grand quotidien madrilène, Heraldo de Madrid, lançait, lui un projet d’écriture collective sous le nom la « Novela sin final ». L’initiative, réussie, visait, cette fois, à impliquer le lecteur dans la vie littéraire du moment : il était incité à devenir auteur. L’article éclaire un aspect des liens qui se sont tissés entre presse et littérature et analyse l’ambition du journal de créer, sur le fond de censure imposé par la dictature de Primo de Rivera, un espace de création littéraire à destination du plus grand nombre en même temps que d’expression et d’interaction sociale.

    L’étude de la notion d’écriture collective considérée au prisme de la production littéraire castillane du Moyen Âge et du Siècle d’Or se révèle tout aussi stimulante.

    Pour la période médiévale, l’analyse de l’évolution de l’écriture fait apparaître que seule l’émergence de l’auteur comme figure individualisée permet d’envisager l’écriture collective comme une pratique spécifique, dans laquelle l’œuvre n’est pas immuable mais dépend d’une part d’une succession de figures auctoriales (scriptor, compilator, commentator, autor) et d’autre part d’un complexe processus de composition. L’un des premiers exemples, dans la catégorie poétique, fut celui des « preguntas y respuestas », qui connut un grand succès parmi les poètes de cour du règne de Jean II.

    À partir d’une analyse de texte, le réexamen du projet littéraire de Nicolás Núñez (1496), continuateur de la Cárcel de amor de Diego de San Pedro (1492), suite possiblement élaborée à partir du Tractado de amores de Arnalte y Lucenda (1491) du même San Pedro s’intéresse à une œuvre à quatre mains dont le succès est attesté par les vingt-huit rééditions entre 1496 et la fin du XVIe siècle. La notion de « fidélité »/« infidélité », termes en usage pour qualifier la relation littéraire d’un continuateur à l’auteur premier dont le texte est repris, est aussi développée. Cette continuation précédait de quelques années l’œuvre qui fait coïncider de façon emblématique, au XVIe siècle, composition littéraire et continuation : La Célestine, dont le personnage principal a lui-même été l’objet d’un processus de typification  de la part de six continuateurs de l’œuvre modèle (1534-1570). Outre l’analyse dudit processus, les éléments qui font passer un personnage de la catégorie de personnage à celle de type sont aussi considérés.

    Contrairement aux idées (ou aux images visuelles) reçues qui associent création et solitude ou création et écrit, la réalité de la production poétique et de la vie intellectuelle à la Renaissance est aussi collective et orale, comme en témoignent les cancioneros. L’analyse de la forme glosa permet, en particulier, de mettre en relief l’art de l’improvisation qui se développe alors, authentique fabrique collective de poésie non seulement parce qu’elle s’appuie sur les œuvres préexistantes mais aussi parce qu’elle est produite par un groupe. De ce point de vue, l’image des abeilles, que l’on doit à la plume de Montaigne, dit mieux que toute autre cette dimension collective.

    Revisitant la relation – souvent analysée comme conflictuelle – de Cervantès avec Avellaneda qui, en 1614, avait donné une suite à la première partie du Don Quichotte, une autre étude examine si la notion d’écriture en collaboration peut être opératoire pour rendre compte de la relation entre ces deux auteurs. Passant en revue quatre modalités possibles de cette collaboration dans la seconde partie de Don Quichotte que publie Cervantès en 1615, l’analyse montre les rapports contradictoires de ce dernier avec son concurrent, entre déni, collaboration effective, pour paradoxale qu’elle soit, et complémentarité dialectique.

    Enfin, le cinéma qui repose, par définition, sur le travail d’une équipe (montage, éclairage, sonorisation, production, distribution, etc.) même si dans l’usage le « grand public » ne retient souvent que les noms des acteurs et du réalisateur, donne lieu à l’évocation de deux formes d’écritures collectives dans une production latino-américaine, particulièrement dynamique et impliquée dans les questions d’histoire et de société. Une étude s’intéresse au cinéma documentaire d’une réalisatrice salvadorienne contemporaine, Marcela Zamora Chamorro, et à la thématique de la violence présente dans ses documentaires. Sa production est analysée comme résultant d’un double travail de collaboration : au niveau de la diégèse et au niveau de la réalisation. Ce double apport se fonde sur une solidarité et une confiance entre les personnes sur le plan idéologique, socle indispensable pour que la parole se libère de la parole et que le travail de mémoire se développe. À partir d’un corpus d’une cinquantaine de films (fiction et documentaire) produits dans quatorze pays, une autre étude propose une analyse sémiotique de la représentation de la transidentité dans le cinéma latino-américain. La réflexion s’intéresse, en particulier, à trois idéologèmes constitutifs dans le processus d’individuation du personnage trans dont la « scène de convergence médiatique », cette dernière permettant la mise en relief de l’interaction de la « culture participative » dans ces films.

    Catherine Heymann

     

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    SOMMAIRE

    Benoît Peeters (Université de Lancaster), «Des duos d’écrivains à l’écriture collective: quelques pistes»

    Écritures en collaboration

    Julien Roger (Sorbonne Université – CRIMIC), «Silvina Ocampo+Bioy Casarès= Los que aman, odian 1+1=3»

    Victoria Famin (Université Lumière Lyon 2), «Julio Cortázar y Carol Dunlop, Los autonautas de la cosmopista –La escritura de una complicidad aventurera»

    Irma Vélez (Sorbonne Université), «Le cinéma trans comme écriture sociale et médiatique de l’autodétermination»

    Écritures collectives

    Marie-José Hanaï (Université de rouen normandie, eriac), «De l’un au multiple: l’écriture collective de l’anthologie (Les anthologies mexicaines de micro-récits)»

    Renée-Clémentine Lucien (Sorbonne Université - CRMIC), «Créations littéraires populaires à Cuba, écouter, transcrire, traduire»

    Maud Le Guellec (Université de Lille - Laboratoire CECILLE / EA 4074), «Les Variedades de ciencias, literatura y artes (1803-1805): du journaliste solitaire à la première équipe de rédaction espagnole?»

    Gersende Camenen (Université Paris-Est Marne-la-Vallée), «Manuel Puig et Albert Bensoussan. Les débuts d'une collaboration»

    Caroline Lepage (Université Paris Nanterre) et Elsa Fernández (Université Paris Nanterre), «¡Basta! Mujeres contra la violencia de género, un projet collectif interaméricain d’écritures collectives»

    Graciela Villanueva (Université Paris-Est, IMAGER / EA 3958), «El cine documental como escritura en colaboración: el caso de Marcela Zamora Chamorro»

    Séverine Grelois (Université Paris-Est, IMAGER / EA 3958), «Des nains et des abeilles: glosa, parodie et lieux communs ou la fabrique collective de la poésie du Siècle d’Or»

    Continuations

    Laurie-Anne Laget (Sorbonne Université), «Impliquer le lecteur dans la vie littéraire: le projet d’écriture collective de la «Novela sin final» dans Heraldo de Madrid (1926-1927)»

    Pénélope Cartelet, (Université de Lille - Laboratoire CECILLE / EA 4074), «La notion d’écriture collective dans le Moyen Âge castillan: d’un manque de pertinence à la naissance d’une pratique spécifique»

    François-Xavier Guerry (Sorbonne université, clea), «Du personnage Celestina au type célestinesque. Stéréotypie et innovations dans un cycle littéraire du Siècle d’or (1499-1570)»

    Olivier Biaggini (Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3 (lecemo-crem), «Nicolás Núñez, alter ego de Diego de San Pedro: la Cárcel de amor révisée au prisme d’Arnalte y Lucenda»

    David Alvarez Roblin (CEHA – Université de Picardie Jules Verne), «Cervantès, Avellaneda et la suite de Don Quichotte: du règlement de comptes à l’écriture en collaboration»

    ***

    Comptes-rendus de lecture

    Compte-rendu de lecture (Emmanuelle Sinardet): Michael Handelsman, Representaciones de lo afroy su recepción en Ecuador. Encuentros ydesencuentros en tensión

    Compte-rendu de lecture (Gisèle Prost): Variations sur le secret dans le monde hispanophone, Dardo Scavino et Marc Zuili (dir.)

     

     

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  • Le "bien vivre“ (Buen vivir) en Équateur : alternative au développement ou développement alternatif ?
    No 9 (2019)

    Ce numéro thématique de Crisol rassemble les interventions présentées lors de la journée d’études internationale « Le bien vivre en Équateur : alternative au développement ou développement alternatif ? », organisée le 7 décembre 2018 par le Centre d’études équatoriennes du Centre de Recherches Ibériques et Ibéro-américaines (CRIIA) de l’Université de Nanterre. Dix ans après la proclamation du bien vivre comme principe recteur par la Constitution équatorienne, il est aujourd’hui opportun d’esquisser un premier bilan des processus de conceptualisation et d’institutionnalisation. L’objectif de cette rencontre était de mettre en évidence la polysémie de la notion du buen vivir et les ambiguïtés qui en résultent, à la lumière de sa déclinaison et de ses tentatives d’application dans les politiques publiques. Au travers des réflexions publiées ici, il apparait que l’Équateur reste aujourd’hui dans une dynamique développementiste, dans laquelle le bien vivre ne constitue pas encore une réelle alternative. Si d’un point de vue théorique, les avancées sont importantes, un long chemin reste encore à parcourir pour la mise en place d’actions étatiques cohérentes. 

    Diana Sarrade Cobos et Emmanuelle Sinardet

     

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    SOMMAIRE

    Emmanuelle Sinardet (Université Paris Nanterre), Diana Sarrade Cobos (Université de Bordeaux), Avant-propos

    Diana Sarrade Cobos (Université de Bordeaux), Introducción

    Salomé Cárdenas Muñoz (CESPRA-EHESS/CNRS), «El “Buen vivir” en Ecuador: etnogénesis, interacciones y transferencias discursivas entre lo glocal y lo nacional»

    René Ramírez Gallegos (Centro de Estudios Sociales de la Universidad de Coimbra), «Los "bienes relacionales" en la socioecología política de la vida buena»

    Andrés Chiriboga-Tejada (Institut d’Études Politiques de Paris/iep – sciences po), «La gestion de la liquidité dans l’économie du Bien Vivre»

    Betty Espinosa (FLACSO Sede Ecuador), «¿Buen vivir en Ecuador? Avances y controversias sociales y ambientales, 2007 a 2017»

    Elena Ciccozzi (Chercheuse Associée – CREDA, Sorbonne Nouvelle), «El Buen Vivir a la prueba del Neoextractivismo. Ambigüedades del progresismo ecuatoriano y continuidad con el Neoliberalismo»

    Pablo Cardoso (Universidad de las Artes, Guayaquil) et Ana Lucía Torres (Institut de Santé Publique - Pontificia Universidad Católica del Ecuador), «Politiques Publiques du “Buen Vivir” et systèmes traditionnels de connaissance: le cas des sages-femmes et le Système National de Santé en Équateur»

    ***

    Compte-rendu de lecture

    Compte-rendu de lecture (Marc Zuili): Suzanne Varga, Le sous-texte mythographique de la poésie lyrique au Siècle d’Or espagnol

     

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  • ¿Encontraría a Cortázar? 18 articles sur “Rayuela” et “Queremos tanto a Glenda”
    No 8 (2019)

    Les programmes des concours du CAPES et de l’Agrégation sont toujours l’occasion d’immersions profondes dans l’univers d’un auteur pour les étudiants, qui en conservent généralement un souvenir tenace pendant de nombreuses années. Gageons que les personnages arpentant les méandres de Rayuela auront semé dans leur esprit des petits cailloux qui continueront de prendre sens par le biais de réminiscences inattendues, dans d’autres lectures ou, encore mieux, au gré d’une promenade dans les rues de Paris ou de Buenos Aires… Et c’est aussi, pour les enseignants-chercheurs qui les accompagnent, l’occasion de découvrir des textes qu’ils n’avaient pas encore lus, voire qu’ils n’auraient jamais eu l’idée d’ouvrir – absorbés par leurs domaines de spécialités et peut-être trop immobilisés dans leurs zones géographiques de prédilection –, ou alors, dans le cas de ces monuments du patrimoine de la littérature en langue espagnole, de les re-découvrir avec le recul, parfois de plusieurs décennies, et dans un cadre fort exigeant qui leur fait aller au cœur d’une œuvre, parcourir ses architectures et creuser ses plus infimes détails, à travers les exercices universitaires de la dissertation, de l’explication de texte et de la leçon, certes bien moins scolaires et stérilisants pour la lecture et l’interprétation qu’on le prétend. Cet ouvrage, ¿Encontraría a Cortázar? 18 études sur Rayuela et Queremos tanto a Glenda, est donc né, d’une part, de la volonté de proposer aux candidats des pistes utiles pour aborder les fictions cortazariennes telles qu’elles se déploient dans des titres en l’occurrence publiés à presque vingt ans d’écart ; d’autre part, de permettre aux enseignants-chercheurs préparateurs de mener à bien des réflexions, parfois très personnelles, sur leur mémoire de lecteur et sur cette re-lecture particulière. Il va de soi que revenir – encore ! diront sans doute certains – sur des œuvres ayant fait l’objet de tant d’études n’est pas chose aisée, mais les contributeurs-trices de ce numéro 8 de Crisol-série numérique ont relevé le défi en privilégiant des approches dont la diversité rend compte, à elle seule, de l’étendue et de la variété des réactions, idées et thèses que peut générer une écriture aussi foisonnante que celle du fameux Cronope.

    Dans une première partie, nous avons souhaité dessiner la figure de l’auteur à travers le regard de ses lecteurs, mais aussi à travers celui qu’il lui-même jeté sur ses écrits. Face au monument que représente Rayuela, cet hymne à la quête de sens et de soi, cette invitation à vivre pleinement le jeu de l’existence, Alain Sicard (Université de Poitiers) et Dina Grijalva (Facultad de Filosofía y Letras de la Universidad Autónoma de Sinaloa) démontrent de façon très personnelle que la lecture de Cortázar peut modifier notre vision du monde comme elle a modifié le paysage littéraire contemporain, dans les Amériques comme en Europe. Ces chercheurs nous font partager leur rencontre avec un ouvrage hors normes et le fruit d’années de vie commune avec lui, comme Victoria Ríos Castaño (Coventry University-RU) lorsqu’elle se penche à travers les déclarations de l’auteur sur la genèse et la réception de Rayuela, ou Miguel Herráez (UCH de Valencia-Facultad de Humanidades y Ciencias de la Comunicación) sur le choc que représenta la réception de l’œuvre dans l’Espagne franquiste des années 60.

    Puis, nous avons cherché à travers la seconde partie du volume à mettre en lumière les thèmes, motifs et discours à l’œuvre dans Rayuela comme dans Queremos tanto a Glenda. David Jiménez Barreiro (Université Paris Nanterre) étudie ainsi le personnage d’Horacio Oliveira, anti-héros d’un « anti-roman », et la construction de ce personnage à partir d’une polyphonie narrative. Par ailleurs, les nouvelles composant Queremos tanto a Glenda ayant été étudiées de façon moins exhaustive que l’ambitieuse Rayuela, Julien Roger (Sorbonne Université) privilégie un aspect encore peu traité et pourtant significatif de ces récits : la présence des animaux en tant que figures de transtextualité au sein de l’ouvrage. Deux articles se focalisent aussi plus précisément sur l’analyse littéraire d’une nouvelle : celui de Benoît Coquil (Université Paris Est-Créteil), qui analyse l’espace souterrain dans « Texto en una libreta » et les possibles lectures politiques du récit, et celui de Sandra Gondouin (Université de Rouen-Normandie) et Andra Barbu (Université de Rouen-Normandie), qui voient dans la métalepse à l’œuvre dans « Historias que me cuento » la figure de l’anneau de Moebius, chère à Cortázar.

    Bien entendu, la question de l’écriture, de la poétique des œuvres étudiées et de leurs structures sont également au cœur des réflexions proposées ici ; elles font l’objet de la troisième partie du volume. Elvire Gómez Vidal (Université Bordeaux Montaigne) étudie ainsi la complexe architecture de Rayuela en dessinant les « clés de voûte » parmi l’enchevêtrement de ses chapitres ; un enchevêtrement que Marta Inés Waldegaray (Université de Reims Champagne-Ardenne) observe également en faisant dialoguer les deux ouvrages et en mettant en lumière le tissage des voix énonciatives qui les caractérise. De même, Olga Lobo (Université Grenoble-Alpes) évoque la structure complexe de Rayuela en choisissant l’image d’une « double spirale » sur laquelle elle revient à travers les déclarations critiques de l’auteur, tandis que Paula Klein (École Normale Supérieure) analyse la façon dont celui-ci renouvelle l’objet-livre et revalorise le quotidien, ses objets et ses rebuts, pour modifier la perception esthétique du lecteur. Ces diverses études éclairent donc la composition novatrice et intriquée de Rayuela, mais aussi de Queremos tanto a Glenda, avec la toile de son réseau d’intertextualité et d’intermédialité devenant le filtre de la réalité selon l’analyse d’Antoine Ventura, ou les multiples plans énonciatifs se superposant dans « Historias que me cuento » et dont Eduardo Serrano Orejuela (Universidad del Valle / Cali) rend compte de manière très vivante. Celui-ci met en effet en scène d’un dialogue entre un étudiant et son enseignant, un procédé inspiré de la fiction critique de Pierre Bayard.

    Enfin, dans une quatrième et dernière partie, Caroline Lepage (Université Paris Nanterre), Soline Martinez (Université Paris Nanterre), Yann Seyeux (Université Paris Nanterre) et Sabrina Wajntraub (Université Paris Nanterre) proposent une microlecture au sein de Rayuela et mènent une enquête minutieuse en trois volets – diégétique, littéraire et philosophique – pour comprendre ce qu’a bien pu devenir le chapitre 55, mystérieusement absent (en apparence) du parcours de lecture proposé par le « Tablero de direcciones » et rendre compte de la portée de cette disparition ***

     

    Caroline Lepage et Sandra Gondouin

     

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    SOMMAIRE

    1- Cortázar d'après ses lecteurs et lui-même

    Alain Sicard (Université de Poitiers), «Rayuela: bitácora de una relectura»

    Dina Grijalva (Facultad de Filosofía y Letras de la Universidad Autónoma de Sinaloa), «Mi universo Rayuela»

    Miguel Herráez (UCH de Valencia, Facultad de Humanidades y Ciencias de la Comunicación), «El fenómeno del Boom y Rayuela como referencia de discurso dislocado»

    Victoria Ríos Castaño (Coventry University/RU), «Rayuela selon Cortázar: de l’éxperience métaphysique à la réception du lecteur»

     

    2- Thèmes, motifs et discours dans Rayuela et Queremos tanto a Glenda

    Olga Lobo (Université Grenoble-Alpes. I.L.C.E.A.4), «Rastreos por la doble espiral de Rayuela. Itinerarios de lectura a partir de ficciones, cartas, ensayos, Cuaderno de Bitácora y (algunas) referencias críticas»

    Benoît Coquil (Université Paris Est Créteil), «Du jeu dans la machinerie. À propos de « Texto en una libreta » (Queremos tanto a Glenda

    David Barreiro Jiménez (Université Paris Nanterre), «Horacio Oliveira, la construcción de un personaje de antinovela»

    Julien Roger (Sorbonne Université), «Les animaux, figures de transtextualité dans Queremos tanto a Glenda»

    Sandra Gondouin et Andra Barbu (Université de Rouen Normandie/ERIAC), «Sous les paupières, la réalité? «Historias que me cuento» de Julio Cortázar: une métafiction sous forme d’anneau de Moebius»

     

    3- Questions d’écriture dans Rayuela et Queremos tanto a Glenda

    Elvire Gómez Vidal (Université Bordeaux Montaigne), «Rayuela, “la gran rosa policroma”»

    Eduardo Serrano Orejuela Olga (UNIVERSIDAD DEL VALLE / Cali - Colombia), «HISTORIAS QUE TE CUENTO – Planos enunciativos en “Historias que me cuento”, de Julio Cortázar»

    Antoine Ventura (Université Bordeaux Montaigne), «Intertextualidad literaria y artística en Queremos tanto a Glenda de J. Cortázar»

    Paula Klein (École normale supérieure), «“Changer la vie”: poétique du regard et redécouverte du quotidien dans Rayuela (1963) de Julio Cortázar»

    Marta Waldegaray (Université de Reims Champagne-Ardenne CIRLEP/EA 4299), «Brouillé, dansant, enchevêtré… mirada e ilusión enunciativa en la ficción cortazariana»

    Cecilia González Scavino (Université Bordeaux Montaigne), «Los usos poéticos de la interferencia en Rayuela»

     

    4- Une micro-lecture dans Rayuela

    Caroline Lepage, Soline Martinez, Yann Seyeux et Sabrina Wajntraub (Université Paris Nanterre – EA Études Romanes / CRIIA – GRELPP), «Mais où est passé 55? (Le statut et les sens du chapitre 55 de Rayuela)/Volet 1 –la diégèse»

    Caroline Lepage, Soline Martinez, Yann Seyeux et Sabrina Wajntraub (Université Paris Nanterre – EA Études Romanes / CRIIA – GRELPP), «Mais où est passé 55? (Le statut et les sens du chapitre 55 de Rayuela)/volet 2 –le projet littéraire»

    Caroline Lepage, Soline Martinez, Yann Seyeux et Sabrina Wajntraub (Université Paris Nanterre – EA Études Romanes / CRIIA – GRELPP), «Mais où est passé 55? (Le statut et les sens du chapitre 55 de Rayuela)/volet 3 – le projet philosophique»

     

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    Publiée: 2019-05-16
  • Les écritures palimpsestuelles: le texte et ses liens
    No 7 (2019)

    De par l’influence paradoxale de la circulation du sens, le texte fait sauter le verrou du temps orienté et irréversible. Qui songerait à nier que l’Ulysse de James Joyce ne serait pas ce qu’il est sans l’Odyssée ? Et pouvons-nous dire que nous lisons l’Odyssée de la même façon après avoir lu l’Ulysse de James Joyce ? En prenant les choses autrement on devrait affirmer que l’Ulysse de James Joyce était programmé par le sémiotope de l’Odyssée, ou encore que l’Ulysse est une des versions récentes de l’Odyssée (Fragments sur le texte, 2002, p. 60).

    À un an du décès de Gérard Genette (11 mai 2018), la présente publication témoigne de la vitalité de son œuvre théorique, dont l’importance dans la révolution intellectuelle de la « nouvelle critique », dans le sillage du magistère de Roland Barthes, n’est plus à démontrer. Ses écrits, qui s’étendent sur plus de 40 ans, ont connu un succès inusité dans le champ de la théorie littéraire, grâce en particulier à l’élaboration d’un système, finement ciselé, de notions bien définies, qui balisent totalement l’analyse textuelle.

    Ma génération, qui suivait de près celle de l’auteur des Figures, parlait couramment la langue genettienne, et la transmettait fidèlement aux étudiants, ravis de devenir à leur tour des experts dans le maniement des préfixes grecs et latins (auto-, hétéro-, homo-, intra-, extra-, hypo-, hyper-, meta-, pré-, post-, trans-, inter-), et de quelques termes succulents, à employer sans modération : palimpseste, architexte, mimologique, immanence et transcendance. En lisant le bouquet des études qui constituent le présent volume, je constate avec satisfaction que, toutes générations confondues, les critiques universitaires continuent de manier avec dextérité le système bâti par Gérard Genette. Plus éclectiques que le maître, les hispanistes ici présents ne se limitent pas à rechercher les liens qui unissent, souterrainement, deux ou plusieurs textes littéraires, leur conférant ainsi des sens imprévisibles et souvent magiques. Ils s’intéressent à de multiples champs de la création esthétique : peinture, gravure, arts graphiques, cinéma, photographie, chanson contemporaine, rap, modalités du discours historique ou mythique. Cette mise en consonance de savoir-faire pluriels, et parfois très hétérogènes, répond à la volonté de faire époque, certes, mais aussi et en même temps à celle de montrer que la critique évolue avec le champ culturel où elle s’inscrit.

     

    Milagros Ezquerro, mai 2019

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    SOMMAIRE

    L’intertexualité et la réécriture

    David Álvarez Roblin (Université de Picardie – Jules Verne), «L’intertextualité problématique des contes de fous dans le Quichotte de 1615»

    Julien Roger (Sorbonne Université), «Un personnage transtextuel: la figure du Juif errant dans l'œuvre de Leopoldo Lugones»

    Caroline Lepage et Elena Geneau (Université Paris Nanterre), «Borges, García Márquez dans et depuis Kalpa imperial (1983), de Angélica Gorodischer»

    Liliana Riaboff (Université Paris Nanterre), «Des sirènes et des lamantins dans l’œuvre de Gabriel García Márquez : dérives entre hyper et autotextualité»  

    Anne Garcia (Université Paris-Est Créteil), «Appropriation? Approximation? Prégnance de l’hypotexte biblique et rôle de la traduction dans la pratique poétique de José Emilio Pacheco. L’exemple du Cantar de los cantares».

    Elsa Fernández (Université Paris Nanterre), «Les relations transtextuelles entre Lituma en los Andes et Abril Rojo»

    Éléonore Parchilniak (Université Paris Nanterre): «Palimpsestes et fantômes dans Los ingrávidos: une hantologie»

     

    Le dialogue entre les arts: poétiques et processus de l’intermédialité et de la transgénéricité

    Hervé Le Corre (Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3), «L’entrelacs. Poésie, images et érotisme dans retórica erótica (2002) de Liliana Lukin»

    Florence Olivier (Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3), «La photographie à la source du récit. De Cortázar à Bolaño»

    Renaud Malavialle (Sorbonne Université), «Transtextualité et transgénéricité dans le récit hispano-américain contemporain: réflexions sur les sources et formes de la modernité»

    Renée-Clémentine Lucien (Sorbonne Université), «Muerte de Nadie, d’Arturo Arango, La novela de mi vida, de Leonardo Padura, et Retour à Ithaque, ou les variations d’une Odyssée sans fin»

    Judite Rodrigues (Université de Dijon), «Transtextualité subversive et travail des communs: quelques mécanismes dans les œuvres de Jorge Riechmann, David Franco Monthiel et Miguel Brieva»

    Sandra Gondouin (Université de Rouen – Normandie), «La rappeuse guatémaltèque Rebeca Lane entre paroles et images: transtextualité et intermédialité dans la “Cumbia de la memoria”»

     

    Pratiques métatextuelles et intertextuelles

    Mariana Di Ció (Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3), «El inefable centro del relato, A propósito de (Tomas para un documental) de Daniel García Helde»

    Davy Demas (Université d’Albi), «La letra con sangre entra. Pratiques métatextuelles et intertextuelles dans le roman noir mexicain: renouvellement ou dégradation d’un genre?»

    Graciela Villanueva (Université Paris-Est Créteil), «Trois questions sur la transtextualité genettienne à partir d’une étude de textes de la littérature argentine»

    Pénélope Laurent (Sorbonne Université), «La picaresque dans Hasta no verte Jesús mío: la fiction au coeur du récit»

    Emmanuel Vincenot (Université Paris-Est Marne-la-Vallée), «Le grand détournement: hypertextualité filmique et parasitisme de marque»

     

    Palimpseste et discours mémoriel

    Marie Lecouvey (Université Paris Nanterre), «Quetzalcoátl messianique: chroniques coloniales et colonialisme interne dans la péninsule mexicaine (1880-1895)»

    Stéphanie Decante (Université Paris Nanterre), «Guadalupe Santa Cruz, une poétique de l’écho»

    Eva Touboul (Université Paris Nanterre), «La récupération de la mémoire historique: un palimpseste historiographique?»

    Emmanuelle Sinardet (Université Paris Nanterre), «Les scrapbooks de Purita Kalaw Ledesma (1914-2005): la transtextualité comme processus de production de l’histoire des arts philippins (1948-2000)»

     

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  • Migrations et mutations – métamorphose des discours dans l’espace Espagne-Amérique
    No 6 (2019)

    Quels sont les effets des mobilités des individus, seuls ou en groupes, sur les productions écrites et orales en langue espagnole ?

    À partir d’une série de réflexions interdisciplinaires qui vont puiser aux outils et aux méthodes de la linguistique, de l’histoire politique et de la littérature, ce numéro de Crisol se propose de repenser les effets des mobilités, d’observer des phénomènes de mutation, d’étrangéisation et de resignification terminologiques, dans la production de discours en langue espagnole.

    Divers corpus, outils et méthodologies, sont ainsi mis au service d’une meilleure compréhension des enjeux linguistiques, historiques, politiques et littéraires suscités par la problématique migratoire associée aux mutations discursives.

    Qu’il s’agisse d’analyser des mobilités textuelles et des représentations de mouvements migratoires, d’éclairer les usages et les réappropriations idéologiques de concepts aux intérêts politiques bien compris, ou de mesurer la variation diatopique dans l’aire hispanophone, la langue espagnole et les incidences des migrations sur cette langue restent le dénominateur commun de ces réflexions menées par quinze chercheurs hispanistes.

    Ces mots et ces formes discursives qui migrent se dotent alors de toute une palette de nuances dans une perspective à la fois diachronique et synchronique. Leurs effets de mode, leurs abandons, leurs substitutions et resignifications, sont à déconstruire pour cerner des évolutions de la langue espagnole, amenant tout un chacun à dire et lire différemment le réel.

     

    Caroline Lepage, Françoise Martinez, Alexandra Oddo

     

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    SOMMAIRE 

    Volet 1 : Littéralités migrantes

    Pénélope Laurent (Sorbonne Université) : «Quelques cas de migrations textuelles dans la littérature argentine». 

    Caroline Lepage (Université Paris Nanterre) et Elena Geneau (doctorante Université Paris Nanterre) : «La science-fiction ou l’expérimentation radicale de la migration et des mutations (langue, discours et formes du texte)».

    Graciela Villanueva (Université Paris-Est Créteil) : «Patricio Pron y el espíritu de los padres que sigue subiendo en la lluvia».

    Elena Geneau (Université Paris Nanterre), «Lo epistémico y lo actancial del discurso a partir de una situación de desplazamiento corporal tangible o incorpóreo en Los cuerpos del verano de Martín Felipe Castagnet y Sexografías de Gabriela Wiener»

    Éléonore Parchliniak (Université Paris Nanterre), «La littérature hors de ses frontières»

     

    Volet 2 : politiques éducatives et récupérations conceptuelles

    Françoise Martinez (Université Paris 8) : «Du ‘régénérationnisme’ espagnol à la ‘régénération’ éducative bolivienne : avatars d’un concept politique». 

    David Macías Barrés (Université Lyon 3) : «Políticas estatales e identidades en el Ecuador: etnicidades de la Costa y “reindigenización».

    Sara Dichy-Malherme (Universités de La Rochelle et Paris Nanterre) : «Du soulèvement de l'Inti Raymi à la Constitution du sumak kawsay: fonctions symboliques du kichwa dans le discours politique équatorien».

     

    Volet 3 : transformations des lexiques, récits et discours

    José Vicente Lozano (Université de Rouen) : «La lengua encarcelada por las pequeñas pantallas: de México a Madrid, pasando por Buenos Aires, cuestiones diasistemáticas de léxico, fraseología y maledictología». 

    Stéphane Oury (Université de Metz) : «Entre migration et mutation, variations prosodiques, morphologiques et sémantiques du lexique de part et d'autre de l'océan : le cas des faux amis internes parmi les américanismes».

    Benoit Coquil (Université Paris-Est Créteil) : «Lenta biografía de Sergio Chejfec : récit d'exil et étrangisation de la langue».

    Caroline Lepage (Université Paris Nanterre) et Elsa Fernandez (Université Paris Nanterre) : «Beatriz/Paul Preciado : des mutations et des migrations en tout genre».

     

    Volet 4 : Variations diatopiques en diachronie 

    Amélie Piel (Université Paris Nanterre) : «Ruptures de concordances temporelles: variation diatopique ou réalité panhispanique».

    Alexandra Oddo (Université Paris Nanterre) : «Fragmentation de la langue espagnole dans l’espace: le cas de la parémiologie latino-américaine ».

    Mariana Echegaray Camacho (doctorante Université Paris Nanterre) : «Strigas, brujas, hechiceras y curanderas: l’évolution du lexique de la sorcellerie de l’Espagne au Nouveau Monde (XVII-XVIIIe siècles)».

     

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    Crisol série numérique / ISSN : 2678-1190

    Directrice de la publication : Caroline Lepage

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  • Callejeando / La Rue dans tous ses états / A rua em todas as vias
    No 5 (2019)

    En 2014, le Centre de Recherches Ibériques et Ibéro-américaines (CRIIA, EA 369 Études romanes) a choisi d’engager une réflexion sur « La rue ». Élément constituant de la ville, assurant la mise en relation d’espaces et de groupes sociaux distincts, la rue est une forme qui a une configuration, une architecture et une histoire aux multiples facettes. À travers le temps, elle a développé des logiques et des dynamiques propres. Ses usages, ses pratiques et ses représentations ne peuvent se comprendre sans une prise en compte de l’histoire politique, sociale, économique et culturelle et plus récemment des études sur l'histoire urbaine.

    Au terme de seize séminaires auxquels ont participé l’ensemble des membres du CRIIA ainsi que des enseignants-chercheurs français et étrangers invités dans la perspective d’une approche interdisciplinaire, un colloque international a été organisé en octobre 2017 en association avec le Centre de Recherches Interdisciplinaires sur le monde lusophone (CRILUS), membre de l’EA 369. Privilégiant l’époque contemporaine, « Callejeando/La rue dans tous ses états/A rua em todas as vias. Mondes ibériques (Europe, Amérique, Afrique, Asie) XIX-XXI » a réuni une trentaine de chercheurs confirmés ainsi que des doctorant-e-s de l’université de Paris Nanterre et d’autres universités.

    Ce numéro, trilingue, est le fruit du travail collectif mené durant ces quatre années, qui a permis une réflexion très stimulante au-delà des disciplines considérées comme « classiques » dans l’hispanisme.

    Si, dans les sociétés occidentales ou occidentalisées, la ville s’est transformée en permanence au cours des siècles, la seconde moitié du XIXe siècle et les premières décennies du XXe siècle ont marqué une étape importante. Pour expliquer ces évolutions, de nombreuses études d’histoire urbaine, s’inscrivant dans le cadre d’une opposition entre tradition et modernité, ont mis en relief le facteur démographique, l’essor industriel, les progrès techniques et ont souligné le rôle des politiques gouvernementales et des architectes, présentés comme « les » bâtisseurs de la ville moderne. Ce n’est que plus récemment, comme en témoignent plusieurs articles présents dans ce volume, que l’histoire sociale et l’histoire culturelle se sont intéressées au rôle joué par d’autres acteurs dans la transformation de l’espace public à travers l’analyse des conflits, des manifestations – sous toutes leurs formes y compris artistiques – dont la rue est tout à la fois le théâtre et l’enjeu, mettant au jour un processus tout à la fois plus complexe et plus ouvert. La rue ainsi appréhendée est celle des gens ordinaires, anonymes, des ouvriers, des contestataires, de ces « hommes de la rue » qui font pression sur les élites pour qu'elle se transforme et qu'elle leur appartienne.

    Liée à l’individualisation des habitats, à la circulation des denrées alimentaires, à l’évolution des transports, la rue a connu une expansion, inégale et plus ou moins maîtrisée, au cours des XIXe et XXe siècles. Mais la « rue de l’urbaniste » n’est pas seulement cet « espace matériel aménagé » qu’a défini l’historien Maurice Garden. Elle est politique dans sa gouvernance et son organisation, emblématiques d’une volonté de régulation et de contrôle dont témoigne le tracé des villes. S’insérant dans le long processus, tout à la fois ininterrompu et discontinu, de configuration urbaine, la structuration de l’espace de la  rue s’est opérée par étapes, parfois au prix de « désordres », dont rendent compte plusieurs études de cas qui portent sur le Madrid de la fin du XIXe siècle et du début du XXe : Promenade du Prado (charnière entre la zone historique et la nouvelle ville), rue du Chemin de fer (conflit latent entre l'espace et l'être humain), rues des banlieues ouvrières situées au nord de la capitale dans la période de l’entre-deux guerres mais aussi rue de la Plage à Belem, au Brésil (processus de transformation profonde au parcours conflictuel). De la même manière, dans le Madrid du début du XXe siècle, les espaces de plaisir font l’objet d’une « normalisation » comme le montre la mutation de la rue Sainte Brigitte. En revanche, dans la Lisbonne de la fin du XIXe siècle et de la Belle Époque, l’analyse de la cartographie de l’homosexualité masculine fait apparaître l’existence d’espaces et de rues, « invisibles à la ville normative », qui sont le territoire de ceux que la science et la loi instituent alors comme « sujets déviants » : l'homosexualité est ainsi inventée en tant que catégorie sociale.

     Si le contrôle social de l’État peut s’exercer par la voie législative (répression de l’ébriété, de la mendicité ou de la prostitution en Équateur à la fin du XIXe siècle et enfermement dans des institutions de bienfaisance), la rue est aussi un espace politique symbolique dans le cadre de la lutte pour l’espace public qui s’exprime de plusieurs façons. Qu’il s’agisse des mobilisations monarchistes ou républicaines dans l’Espagne du Sexenio democrático (1868-1874) ou des manifestations joyeuses, « parenthèse enchantée » au sens propre, qui marquèrent la victoire républicaine, obtenue par les urnes en 1931, qui prirent des airs de fête et de célébration. Une autre expression symbolique est celle du choix de la toponymie urbaine des territoires du domaine linguistique catalan (plus particulièrement l’île Baléare de Majorque), analysée au prisme de la gouvernance socialiste au cours de la seconde République espagnole dans le but de construire un imaginaire collectif  ou encore celle de l’espace urbain de Ceuta et Melilla, « places de souveraineté » selon la terminologie coloniale à leur sujet, où s’affrontent deux nationalismes (espagnol et marocain) à travers l’enjeu des commémorations et des monuments. Expression symbolique enfin dans les villes d’Amazonie péruvienne dont les murs reflètent les attentes et les espoirs tout autant que la lutte contre les injustices : ils font la démonstration que le processus d’intégration au territoire national est toujours en cours.

    Lieu de passage, d’échanges et d’activités économiques, la rue est devenue à l’époque contemporaine un espace privilégié du spectacle urbain. Dans le Madrid du premier tiers du XXe siècle, le développement de la publicité visuelle et acoustique a mis en scène la nouvelle culture de la consommation. Dans les guides de voyage dont le nombre a commencé à augmenter dès la seconde moitié du XIXe siècle, la représentation des rues a évolué : ainsi dans le faubourg sévillan de Triana, telle rue jadis « dangereuse », est aujourd’hui « réhabilitée » et son « pittoresque » donne de la valeur à sa « mise en tourisme ».

    Si la prise en compte des décisions des acteurs économiques, par leur choix de localisation, leurs investissements conditionne en partie l’évolution des paysages et des pratiques, les acteurs publics (administration, municipalités) jouent, eux aussi, un rôle important (autorisations d’ouverture d’établissements divers, de permis de construire). Dans le contrôle et la gestion des rues des zones nord et sud de la ville de Medellín se dessinent les rapports entre État, pouvoirs locaux, intérêts économiques et corruption, les plus démunis des habitants en faisant les frais, car ils sont sous domination de l'État.

    D’un côté et de l’autre de l’Atlantique, hors des lieux consacrés – généralement clos – les manifestations artistiques dans la rue se sont multipliées. Dans le domaine du théâtre, les dramaturges espagnols adeptes du Nouveau Théâtre ont écrit, à partir des années 70, un théâtre d’avant-garde, tenu à l’écart de la scène commerciale, du fait de la censure et du public bourgeois, qui l'ignorait. La rue a été pour ces nouveaux auteurs, qui développaient une réflexion politique, un espace scénique alternatif de liberté et de contestation alors que la dictature espagnole se maintenait. Plus récemment, les politiques culturelles de la ville de Bilbao ont valorisé le théâtre de rue. Outre l’objectif touristique, l’une des préoccupations est d’encourager la cohésion sociale entre les différents quartiers de la ville.

    Manifestant une volonté de lutter contre la privatisation de l’espace public et la dépossession d’une zone d’expression pour les habitants, les arts dits de la rue sont partis à la reconquête de cet espace public. Se réappropriant le paysage urbain devenu espace de représentation, le théâtre pluridisciplinaire et communautaire portugais (O Bando) ou la Compagnie Circolando avec sa machinerie ou Radar 360° proposent aujourd’hui de nouvelles lectures et une nouvelle perception de l’espace urbain. En investissant temporairement et symboliquement cet espace, ces manifestations réinventent ou renouent des relations avec le public et peuvent, au-delà de l’instant, contribuer à approfondir la perception de et la réflexion sur l’espace urbain. Ainsi, le street art ou « art public », essentiellement éphémère, destiné au plus grand nombre, est fondé sur la volonté d’instaurer une forme de communication et d’interaction entre un créateur et le public. En témoignent plusieurs street artistes (Ruina, Olaf Ladousse du collectif El Cartel, Noaz, Nuria Mora) face à une gestion de plus en plus privatisée de l’espace public, à l’invasion publicitaire et à une logique marchande généralisée. Dans les quartiers populaires de Lima, la production de nombreux collectifs artistiques, dont plusieurs se situent dans la mouvance Hip Hop, participe de cette réappropriation de l’espace urbain. Ces initiatives contre-culturelles solidaires visent à la reconstruction du tissu associatif et culturel, après les mandats dévastateurs du gouvernement Fujimori et tentent de résister à la gentrification de la capitale péruvienne.

    Enfin, l’analyse des représentations de la rue dans le roman, qu’il soit du XIXe ou du XXe siècle, implique d’interroger la mimesis autant que la liberté créatrice : par exemple celles qui sont à l’oeuvre dans le premier roman naturaliste de Benito Pérez Galdós (La desheredada), peu attiré par la description des milieux populaires et plus intéressé à faire que la rue serve la construction de la subjectivité de son personnage principal en même temps qu’elle constitue une fabrique inépuisable de l’imaginaire galdosien. Ou celle de la tétralogie havanaise de Leonardo Padura qui, dérogeant au code du genre du roman noir, propose un espace de la rue pratiquement dépolitisé et presque décontextualisé, « déréalisé », ce qui n’est pas le moindre de ses paradoxes. Pour sa part, le roman de Maria Ondina Braga, Nocturno em Macau (1991), qui relève de la veine intimiste, s’intéresse à l’expérience du mouvement de l’individu à travers le territoire dont la rue est un des éléments constitutifs et à la représentation de la rencontre avec l’autre culturel, sujet impossible à « situer ».

    D’autres représentations littéraires et cinématographiques mettent en scène une rue qui, plus qu’un décor, est un espace de l’apprentissage politique, un « lieu de tous les dangers » mais aussi de « tous les possibles ». La rue devient un espace de résistance en particulier en temps de dictatures (par exemple celle de Salazar au Portugal), comme le montre la création d’Álvaro Cunhal et Urbano Tavares Rodrigues ou celle des cinéastes du Novo Cinema des années 1960. Dans plusieurs micro-récits chiliens du XXIe siècle au cœur desquels des collectifs d’écriture placent les questions de mémoire en contexte post-dictatorial, la rue, espace d’expression et du vivre-ensemble, est interrogée au prisme de la présence-absence des victimes. 

    Catherine Heymann et Mercè Pujol

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    ©Lorena Zaragoza / Kreata Estudio

     

    Sommaire

     

    Rubén Pallol Trigueros, «La lucha por la calle. Conflictos en la redefinición del espacio público en las ciudades de comienzos de siglo»

     

    La « rue de l’urbaniste » : enjeux et conflits

    Concepción Lopezosa Aparicio, «Funciones y valores adquiridos por el Paseo del Prado de Madrid en su proceso de conformación desde camino a calle»

    Fernando Vicente Albarrán, «La calle del Ferrocarril. Desorden, conflicto y marginalidad en el proceso de modernización de Madrid (1850-1930)»

    Carlos Hernández Quero, «Cuerpos bajo el metal, piedras contra el tranvía. Tráfico rodado, cultura de barrio y conflicto en los suburbios del Madrid de entreguerras»

    Yara Reis, «Memórias e conflitos na formação da rua do porto de Belém»

    Cristina de Pedro Álvarez, «La nueva sonrisa de cabaret. El impacto de la modernización urbana en los espacios de intercambio sexual de Madrid. La calle Santa Brígida, un estudio de caso (1870-1936)»

    Fernando Curopos, «Cruising dans la Lisbonne fin-de-siècle»

     

    Pouvoir politique et symbolique

    Alexis Medina, «Discipliner la marginalité : le combat contre l’ébriété et la mendicité dans les rues des villes équatoriennes pendant la période progressiste (1883-1885)» 

    Sergio Sánchez Collantes, «Luchas simbólicas por el espacio público en el Sexenio Democrático : republicanos contra monárquicos en las calles españolas, 1868-1874» 

    Marie Angèle Orobon, «Prendre la rue en chantant : la proclamation de la IIe République en Espagne» 

    Aurelio Martí, «Las calles de la nación: socialismo y discursos de España durante la Segunda República» 

    Alicia Fernández García, «El nacionalismo español en las calles de Ceuta y Melilla» 

    Estelle Amilien, «Des murs et des rues. Quelle identité pour  les villes d’Amazonie au Pérou?»

     

    Espace social et espace économique

    Nuria Rodríguez Martín, «El espectáculo está en la calle: la explosión de la publicidad exterior en Madrid durante el primer tercio del siglo XX» 

    Ivanne Galant, «"Cuando paso por el puente, Triana…”. Représentations du faubourg sévillan dans les guides de voyage (XIXe-XXIe siècles)»  

    Holmedo Peláez Grisales, «Estudio de caso: la dominación de los habitantes de la calle del Río Medellín en el control de las calles de la ciudad entre el terrorismo estatal y la narcoalianza»

     

    Les arts et la rue, les arts dans la rue

    Anne Laure Feuillastre, «La calle como escenario de protesta política en la España de los setenta» 

    Marina Ruiz Cano, «De "espectáculos" por Bilbao» 

    Catarina Firmo, «Marionnettes, corps actants et autres encombrants sur la voie publique»  

    Anne Puech, «L'espace public vu par les street artistes espagnols»

    Pablo Malek, «Protestas, propuestas y proceso : un documentaire sur les initiatives contre-culturelles solidaires dans l’espace public de Lima»

     

    Représentations

    Yves Germain, «Les descriptions de la rue madrilène dans La desheredada de Galdós» 

    Caroline Lepage, «Présence et absence de la rue dans la tétralogie havanaise de Leonardo Padura Fuentes» 

    Gonçalo Cordeiro, «Em lugar de seguir a direito: Macau e o princípio de intransividade em Maria Ondina Braga» 

    João Carlos Vitorino Pereira, «La rue au service de la révolution : un enjeu majeur pour Álvaro Cunhal et Urbano Tavares Rodrigues» 

    Eurydice Da Silva, «Les rues lisboètes dans le cinéma portugais des années 60 : un espace de résistance pendant la dictature»

    Camille Lamarque, «Rhizome fictionnel dans le micro-récit chilien. L’écriture réticulaire de la rue sous le régime dictatorial»

     

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  • Imaginer et représenter le bonheur
    No 4 (2019)

    Cette dernière livraison de CRISOL consacrée au Bonheur est le résultat du travail de recherche du GRELPP (Groupe de Recherche en Littérature, Philosophie et Psychanalyse) mené dans le cadre de séminaires puis d’une journée d’étude, qui se sont tenus à l'Université de Paris Nanterre.

    La notion de bonheur, interrogation philosophique, par excellence, est devenue ces dernières années un sujet prioritaire, voire une véritable injonction dans nos sociétés postmodernes, où l'aspiration majeure est une sorte de nouvel hédonisme. Sa représentation prend diverses formes, lesquelles semblent tout particulièrement s'épanouir dans ces nouveaux espaces de communication que sont les réseaux sociaux ; ces derniers fonctionnent il est vrai comme une sorte de vitrine de ce qui pourrait être une certaine idée du bonheur pour quiconque poste sur son « mur » des images, des statuts, etc., toute une iconographie personnelle, croyant ainsi saisir cette notion si fuyante et nous dire : « Regardez comme je suis heureux ! ».

    La recherche en littérature n'échappe pas à la grande rumeur du monde ; gageons d’ailleurs qu’elle l’accompagne, peut-être, parfois, qu’elle sait la précéder. Et les contributions de ce numéro 3 de la série numérique de CRISOL examinent une notion complexe et étonnement difficile à cerner, tant est riche le vaste spectre sémantique que le mot bonheur – en français – ou felicidad, dicha – en espagnol – recouvre, et cela dans des domaines variés : la littérature hispanophone et ses différents registres, la poésie, le théâtre, mais surtout la prose fictionnelle – roman, micro-récit, nouvelles, etc. – dans ses divers genres. Sans oublier le domaine historique ainsi que la peinture.

    Le bonheur est d'abord une quête existentielle, utopique. Argument majeur de bien des romans, sa recherche exige d'entreprendre un voyage dans l'espace et dans le temps ; l'espace-temps des origines peut-être celui de la Selva, comme dans le roman d'Alejo Carpentier Los pasos perdidos (1953), qu'analyse David Barreiro Jiménez. Mais c'est aussi celui du retour vers l'enfance, ce topos habituellement lié au bonheur ou, du moins, à l'illusion d'un bonheur à jamais perdu. Illusion que l'Argentin Alan Pauls démonte dans deux de ses livres analysés par Graciela Villanueva. Le déplacement peut prendre des allures encore plus impressionnantes, comme celle du voyage intersidéral, quand on aborde la science fiction ; ce qu'explique Elena Geneau, en reprenant l'image des trous noirs, métaphore de la vertigineuse force d'attraction de cette quête universelle. Cheminement personnel vers Dieu, croyance en un monde harmonieux après la mort, pour le poète équatorien César Dávila Andrade, étudié par Caroline Berge, le bonheur est aussi indissociable du vivre en société, du vivre ensemble. C'est ce qui sous-tend l'univers romanesque du péruvien Edgardo Rivera Martínez dans País de Jauja (1993) ; pour Françoise Aubès, dans ce roman paradoxalement sans héros problématique, le bonheur se décline simplement au jour le jour pour l'adolescent Claudio, adolescent épris de musique, de culture grecque et andine à la fois. Le bonheur serait-il donc dans les Andes ? Hélène Roy interroge la figure de l'Inca à la tête d'un empire dont les sujets auraient vécu un bonheur collectif sans pareil. Elle montre comment s'élabore l'utopie andine selon une certaine lecture idéologique de l'Histoire. À Cuba, le point de fracture de 1989 marquant la fin d'un « passé parfait », la nostalgie d'une société égalitaire devient l'argument du roman noir Pasado Perfecto (1991) pour Caroline Lepage, qui décrit le désarroi de Mario Conde, héros de la série policière de Leonardo Padura.

    De nombreuses contributions s'intéressent au bonheur au féminin, encore une fois indissociable d'un contexte socio-culturel. La jeune philippine Cándida, héroïne de La carrera de Cándida, roman de Guillermo Gómez Windham (1921), étudié par Emmanuelle Sinardet se laisse tromper par une certaine idée du bonheur au féminin, dont le modèle serait la femme américaine émancipée ; or, dans la société patriarcale philippine sous occupation étasunienne, ce chemin ne mène qu'au malheur. On retrouve le thème de l'utopie collective dans El país de las mujeres (2010) de la Nicaraguayenne Gioconda Belli. Le bonheur au féminin ou félicisme est une république des femmes où gouverne le PIE (Partido de la Izquierda Erótica), comme le montre Sophie Large. Contre-pied de cette république des femmes libres, tel est l'Ange du foyer, paradigme des vertus féminines à la fin du XIXe siècle, comme le rappelle la contribution de Sylvie Turc Zinopoulos dans sa lecture de Una vida sin mancha (1883), de María del Pilar Sinués.

    Teresa Orecchia Havas, quant à elle, choisit d'explorer dans deux romans argentins contemporains ce double négatif du bonheur qu'est le malheur, comprendre la perte. Tandis qu’en analysant les excipit de poésies espagnoles contemporaines, Nuria Rodriguez Lázaro constate qu'il n'y a point de poésie « heureuse ». Claude Esteban, poète et traducteur y cherche pourtant le chemin qui mène à l’Arcadie, suivant la lecture qu’en fait Pascal Hermouet. Selon Béatrice Ménard, on retrouve le même cheminement vers le bonheur grâce à une sorte d’union cosmique avec la nature dans Todos mis poemas (1983) du poète espagnol Claudio Rodríguez. Si le bonheur relève d'une morale, il relève également d'une esthétique, celle du beau ; et pour le peintre Joaquin Sorolla, selon Lina Iglesias, c'est la fulgurance du blanc qui le traduit le mieux.

    Ces communications offrent donc de multiples approches de la représentation du bonheur – amour, utopie, nostalgie. Individuel ou collectif, le bonheur serait donc cette ligne d'horizon inatteignable. Mais l'espoir de s'en approcher est ce qui caractérise le genre humain et donne naissance à ses plus belles expressions artistiques.

     

    Françoise Aubès

     

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    Sommaire du numéro

    David Barreiro Jiménez
    «Los pasos perdidos (1953) de Alejo Carpentier – “La selva y la búsqueda de la felicidad”»

    Graciela Villanueva
    «La felicidad en La vida descalzo (2006) e Historia del llanto (2007) de Alain Pauls»

    Elena Geneau
    «Los agujeros negros de la felicidad en relatos y microrrelatos de Marcial Souto, Eduardo Carletti y Ana María Shua»

    Caroline Berge
    « Bonheur et mysticisme dans les œuvres de César Dávila Andrade »

    Françoise Aubès « L'écriture du bonheur dans País de Jauja (1993) de l'écrivain péruvien Edgardo Rivera Martínez »

    Hélène Roy
    « Le bonheur est dans les Andes : la figure inca aux frontières de l’histoire et de la fiction »

    Caroline Lepage
    « Mario Conde à la recherche du bonheur perdu »

    Emmanuelle Sinardet
    « Du bonheur américain au malheur philippin : La carrera de Cándida (1921) de Guillermo Gómez Windham (1880-1957) »

    Sophie Large
    « Le “félicisme” dans El país de las mujeres de Gioconda Belli »

    Sylvie Turc-Zinopoulos
    « Le bonheur possible dans le drame Una vida sin mancha (1883) de María del Pilar Sinués »

    Teresa Orecchia Havas
    « La pérdida de la felicidad en dos novelas argentinas contemporáneas »

    Pascal Hermouet
    « La question du bonheur chez Claude Esteban »

    Lina Iglesias
    « Le blanc ou la fulgurance du bonheur dans l’œuvre de Joaquín Sorolla »

    Nuria Rodríguez Lázaro
    «“El dulce lamentar de dos pastores”: apuntes sobre la felicidad en la poesía hispánica »

    Béatrice Ménard
    « La búsqueda de la dicha en Desde mis poemas de Claudio Rodríguez »

     

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  • Connivence
    No 3 (2018)

    Ce troisième volume de Crisol–série numérique est le fruit d’un travail collectif entrepris il y a plusieurs années à Toulouse lors d’une première journée d’étude organisée par l’IRIEC et prolongé lors d’une seconde journée organisée par le CRIIA de l’Université Paris Nanterre. Ces deux journées intitulées « La notion de connivence est-elle un concept opératoire en linguistique ? » se centraient pour la première sur les jeux de mots et traits d’esprit et la seconde sur l’extension du concept aux autres manifestations langagières. Le présent volume réunit 12 contributions de chercheurs français et espagnols, hispanistes ou spécialistes de littérature française, portant sur des domaines aussi divers que la lexicologie, la pragmatique, la parémiologie, la littérature ou la linguistique du signifiant.

    Partant d’une analyse lexicographique du terme « connivence » et de son équivalent espagnol « connivencia », fonctionnant comme un étalon qui permet de mesurer la place qu’occupe ce terme dans les champs de la linguistique et de la didactique, l’ensemble du volume tend à montrer que la connivence est un mécanisme à l’oeuvre dans diverses manifestations langagières (calembour, trait d’esprit, langue de spécialité, mécanismes de censure) mais ne peut se résumer à ces dernières. L’objectif du volume est de déceler la connivence à l’œuvre à plusieurs niveaux d’analyse des manifestations langagières et d’en délimiter la place possible en tant que concept linguistique. Ces différents niveaux structurent le volume puisque les diverses contributions se centreront sur la connivence présente dans l’échange au niveau communicationnel dans un premier moment, au niveau discursif par la suite via l’étude de ses manifestations dans le discours, et enfin au niveau sémantique puisqu’elle apparaît comme un indispensable facteur des évolutions linguistiques observables dans tous les registres de langue. C’est ce concept polymorphe que le présent volume nous invite à observer.

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    Sommaire

    1- Philippe REYNÈS, « Du sens étymologique à l'émergence des acceptions actuelles en contexte d'analyse du discours et de didactique : comparaison lexicographique entre l'espagnol connivencia et le français connivence. »
    2- Christophe DUBOIS, « Degrés de connivence avec le lecteur dans les textes mettant en contact plusieurs langues. »
    3- Michel CAMPRUBI, « La connivence dans le discours. La « langue de bois » et la connivence. »
    4- José PORTOLÉS LÁZARO, « Censura y connivencia. »
    5- Isabelle GARNIER, « Un siècle de connivence confessionnelle de Marguerite de Navarre à Agrippa d’Aubigné (1515-1616) : contribution à l’étayage théorique de la notion. »
    6- Patrick CHARAUDEAU, « Les eaux troubles de la connivence. »
    7- Hélène FRETEL, « Les marqueurs du discours et la notion de « connivence » :
    les cas de enfin, car, en fin et pues. »
    8- Bernard DARBORD, « La connivence et son lexique. idiosyncrasies linguistiques, stéréotypes et spécificités culturelles. »
    9- Antonia LOPEZ, Les proverbes tronqués établissent-ils une connivence d’un point de vue linguistique entre locuteur et récepteur?
    10- Alexandra ODDO, « Sens compositionnel et sens formulaire des lexies complexes : de la convention à la connivence. »
    11- Amélie PIEL, « Langue, Discours, Compétence du locuteur : à quel niveau d’analyse la connivence devient-elle un concept opérationnel en linguistique ? »
    12- Renaud CAZALBOU, « La connivence comme concept opératoire global en linguistique. »

     

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  • Les écritures de la défaite
    No 2 (2018)

    Issu d’une journée d’étude organisée par le Groupe de Recherches en Littérature, Philosophie et Psychanalyse à l’Université Paris Nanterre sur « Les écritures de la défaite », ce volume 2 de Crisol–série numérique réunit 15 contributions de chercheurs français hispanistes et américanistes. Elles portent sur l’Espagne, le Pérou, Cuba, le Chili, le Mexique, la Colombie, l’Argentine et les Philippines. Les réflexions sont menées depuis des corpus, champs théoriques et disciplinaires variés – la peinture, la littérature, la linguistique, l’histoire – et couvrent un laps de temps allant des XVIe au XXIe siècles.

    L’objectif est de s’interroger sur la palette thématique et, plus encore, sur les modalités et formes de la mise en écriture textuelle ou en écriture visuelle de la défaite, afin de découvrir et d’analyser ses éventuelles caractéristiques esthétiques (y a-t-il, par exemple, des scénographies propres à la description de la défaite ?), mais aussi, surtout, ses enjeux discursifs – plus ou moins conscients, plus ou moins avoués et plus ou moins assumés. C’est-à-dire qu’à terme, on cherchera à comprendre la façon dont ces récits rétrospectifs générés par / dans l’écriture et par / dans l’image re-représentaient et finalement re-racontaient l’événement malheureux et pourquoi.

    Soit pour, à la manière d’une basique catharsis, clore ou aider à clore définitivement une page douloureuse d’une histoire personnelle (parfois autour de circonstances profondément intimes et prégnantes sur le façonnement du « je » – à la manière d’une scène primitive) ou d’une histoire collective. On sait le traumatisme que peut constituer pour un peuple et subséquemment le conditionnement de son imaginaire une déroute et une capitulation militaires ; on pense à l’exemple célèbre du fameux wagon de train où fut signé l’armistice du 11 novembre 1918 entre l'Allemagne, la France et ses alliés, et qui devint pour Hitler et nombre de ses compatriotes un véritable symbole de l’humiliation que les alliés ont, de leur point de vue, infligé à leur pays. Pour effacer cette tache et refermer cette cicatrice, le dirigeant allemand s’empressant non seulement d’y ramener les Français pour signer l’armistice du 22 juin 1940, avant de le faire envoyer en Allemagne pour l’exposer à Berlin, et finalement d’ordonner sa destruction par les SS en avril 1945, un mois avant la capitulation allemande.

    Soit pour la resignifier, notamment quand le passage par le filtre et le prisme de la traduction via la ré-appropriation des souvenirs offre une perspective compensatoire dont le traitement, parfois itératif et parfois fort complaisant, peut donner la matière d’une œuvre ponctuelle (un tableau, un roman, une nouvelle, un recueil de nouvelles ou même un journal), voire d’une œuvre complète et en fin de parcours d’une identité d’artiste.

    Soit, à l’autre extrême, pour sombrer dans une vraie (parfois clairement maladive) ou fausse dénégation de la réalité, quand la récupération, sous l’apparence de l’exemplarisation par exemple, est principalement destinée à poser les jalons de nouveaux combats – souvent purement symboliques – et qu’il est habile de se présenter sous les traits de telle ou telle figure de vaincu et de victime.

    Les écritures de la défaite est organisé en deux parties : écrire la défaite personnelle et écrire la défaite collective.

    Caroline Lepage 

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    Sommaire

    I- Écrire la défaite personnelle 

    Françoise Aubès, « Los geniecillos dominicales et la thématique de l’échec »

    David Barreiro Jiménez, « Le journal intime de Julio Ramon Ribeyro : chronique d’une défaite annoncée »

    Cécile Brochard, « Roberto Bolaño “entre les immenses déserts d’ennui et les oasis d’horreur” : l’abîme, un antidote à la défaite ? »

    Marie-Madeleine Gladieu, « Défaite et punition littéraire de antihéros vargasllosiens »

    Caroline Lepage, « Arrogantes victoires et défaites consenties de Borges : lecture croisée de Ficciones et El hacedor »

    Liliana Riaboff, «El artificio de un triunfo sobre una vida de derrotas en Memoria de mis putas tristes»

     

    II- Écrire la défaite collective

    - Chloé Gauthier, « L'essai : témoigner la défaite, représenter l'insoutenable réalité mexicaine. Le cas de Cristina Rivera Garza et Sergio González Rodríguez »

    Elena Geneau, «Indagación de los destinos: vicisitudes del fracaso en Las Repúblicas de Angélica Gorodischer» 

    Renée Clémentine Lucien, « Mondes, langages et corps brisés : la défaite de l’ordre colonial dans La ceiba de la memoria, de Roberto Burgos Cantor »

    Amélie Piel, « La novlangue dans le discours administratif lié à l’enseignement : écriture de la défaite ou défaite de l’écriture ? »

    Nuria Rodríguez Lázaro, « La poésie de l’après-guerre espagnol : la défaite des vaincus et la défaite des vainqueurs »

    Hélène Roy, « Les écritures indigènes de la conquête du Pérou : recréation historique et résistance »

    Emmanuelle Sinardet, «Allégories de la défaite chez deux peintres philippins : Spoliarium (1884) de Juan Luna et Las vírgenes cristianas expuestas al populacho (1884) de Félix Hidalgo»

    Eva Touboul, « Chroniques d’une défaite annoncée ? La guerre civile espagnole racontée par des témoins européens »

     

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  • Nuevas perspectivas e investigaciones en la enseñanza del español para uso profesional
    No 1 (2018)

    Ce volume, le premier d’une nouvelle série -en ligne- de la revue Crisol, souhaite apporter quelques réponses aux questions posées par l’enseignement d’une langue, l’espagnol, dans un but professionnel. Les 11 contributions réparties en trois chapitres sont le fruit d’un travail de recherche mené dans les domaines de la linguistique et de la didactique, dans lesquels les auteurs adoptent un point de vue à la fois théorique, pratique et pragmatique. En effet, la perspective de la linguistique appliquée, tout en partant d’un aspect concret de la langue en tant que système, essaie, entre autres, d'expliquer la manière dont les traditions discursives propres à l’espagnol trouvent toute leur place dans ce que l’on désigne (de manière trop générale) comme l’espagnol des affaires. Pour sa part, la didactique, qui, la plupart du temps prend comme point de départ l’observation des classes, essaie d’améliorer l’enseignement de la langue, mais également son apprentissage de la part de l’apprenant.

    Le lecteur trouvera ici à la fois des réflexions théoriques et des propositions pédagogiques. L’enseignant de langue de spécialité devenu, peut-être par hasard, professeur d’espagnol économique, juridique ou de l’ingénierie, trouvera aussi quelques points de repère qui lui permettront d’avancer dans sa pratique. Ce vaste secteur constitué par l’enseignement de l’espagnol à but professionnel est très hétérogène et très varié car, entre autres, les besoins du public et des institutions sont très larges et, souvent, malheureusement, peu explicites, ce qui rend le travail de l’enseignant davantage complexe, mais en même temps très stimulant.

    Ni la linguistique appliquée ni la didactique ne peuvent faire l’impasse sur ce qu’on appelle les langues de spécialité dans leurs différentes déclinaisons : de spécialisation, de divulgation et de vulgarisation. Ni l’une ni l’autre des deux disciplines ne peuvent faire l’économie de se doter des notions théoriques capables de décrire et d’expliquer les genres discursifs, et des instruments méthodologiques pour avancer dans l’exploitation en cours de ces genres, par exemple.

    Les articles ici réunis dans une perspective synchronique ont pour objectif d'offrir une vision élargie et novatrice de l’enseignement de l’espagnol langue étrangère dans un contexte professionnel.

    Mercé Pujol.

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  • Crisol : numéro spécial en hommage à Thomas Gomez - Universités, académies littéraires et bibliothèques dans les mondes ibérique, ibéro-américain et méditerranéen du XVIIIe siècle à nos jours
    No spécial (2016)

    Dans la première édition de L’invention de l’Amérique. Mythes et réalités de la Conquête (1992) qui ouvrit de nouveaux horizons et vivifia la recherche américaniste, dans le sillage d’un « marin connaisseur d’archives, expert en matière d’aventure américaine (intellectuelle et vécue) » ainsi que Jeanne Chenu définissait l’auteur de l’ouvrage dans le compte rendu qu’elle en fit alors, Thomas Gomez écrivait :
    Ce livre doit beaucoup – tout devrais-je dire – aux maîtres de l’américanisme. Ils sont trop nombreux pour être cités tous et je ne voudrais porter ombrage à aucun d’eux en commettant quelque oubli. Cependant, ce que je dois à John H. Parry, Francisco Morales Padrón, Sergio Villalobos, Irving A. Leonard, Charles Verlinden, Pierre Chaunu et quelques autres, est trop important pour être passé sous silence. Mes anciens professeurs Jean-Pierre Berthe, Georges Baudot et Bartolomé Bennassar y trouveront aussi leur empreinte.
    La curiosité de mes étudiants – ceux de première année comme ceux de l’université Inter-Âges – pendant le temps où j’ai moi-même enseigné à la Sorbonne m’a beaucoup stimulé dans la réalisation de cet ouvrage. Celui-ci n’a d’autre ambition que de répondre à certaines de leurs interrogations et de les aider à s’initier à la passionnante histoire de l’Amérique. Il voudrait aussi faire découvrir cette dernière à un vaste public à travers des aspects parfois insolites ou mal connus et grâce à un récit accessible à tous.

    Amour de la connaissance, goût de l’histoire, passion de la recherche qui ne l’a jamais éloigné de l’enseignement, à tous les niveaux et envers tous les publics, conscience de cette chaîne que constitue la transmission des savoirs et les indispensables maillons que sont les hommes qui en ont la charge.
    Donnant corps à cette démarche, le 12 octobre 2001, Thomas Gomez a créé le GRECUN – Groupe École Culture, Nation dans le monde ibérique, ibéro-américain et méditerranéen – en tant qu’axe de recherche au sein du Centre de Recherches Ibériques et Ibéro-américaines de l’Université de Paris Ouest Nanterre. Ce groupe, qui a réuni plusieurs dizaines de chercheurs provenant de différents domaines des sciences humaines, a développé une réflexion et des activités scientifiques autour de l’École primaire et secondaire, comme matrice possible de la Nation. De la fécondité de cette problématique qui déborde largement le cadre de l’Amérique ibérique témoignent les deux forts volumes publiés en 2005 et 2011 sous le titre École, culture et nation.
    C’est dans la perspective de prolonger les travaux du GRECUN qu’une réflexion sur l’accumulation, la transmission, la récupération et la sauvegarde des savoirs par l’institution universitaire, par des groupements ou des associations – pistes moins explorées par les chercheurs jusqu’à maintenant – a été retenue pour rendre hommage au Professeur Thomas Gomez. Les 16 et 17 octobre 2014 s’est ainsi tenu à l’Université de Paris Ouest Nanterre La Défense un colloque international intitulé Universités, académies littéraires et bibliothèques dans les mondes ibérique, ibéro-américain et méditerranéen du XVIIIe siècle à nos jours, organisé par le Centre de Recherches Ibériques et Ibéro-américaines (EA 369), sous la responsabilité de Catherine Heymann, Nathalie Jammet-Arias et Alvar de La Llosa, avec le soutien de l’UFR de Langues et Civilisations Étrangères et du Service des Relations Internationales. Le présent volume réunit l’ensemble des communications de ce colloque, enrichi de plusieurs contributions d’enseignants-chercheurs, désireux de témoigner leur amitié à Thomas Gomez.

    Reflet des échanges des deux côtés de l’océan Atlantique et de la circulation des savoirs ainsi que des circuits qui les permettent, l’introduction à l’ouvrage offre une magistrale synthèse sur le rôle de l’écrit et de l’imprimé dans la construction de l’espace culturel français en Amérique du Sud (J.Y. Mollier). S’y trouvent détaillées les spécificités de la France par rapport aux autres nations européennes, en particulier les activités éditoriales au XIXe siècle, époque où Paris se transforme en un véritable « carrefour des langues et des cultures ».
    Les rapports, très fluctuants, entre le savoir et le pouvoir ou les savoirs et les pouvoirs font l’objet des trois premières études. Centre de rayonnement culturel à l’époque nasride, Grenade, qui à l’aube du xvie siècle connut une traversée du désert avant de se voir dotée d’une université, se transforma au fil du temps. Elle constitue un cas unique dans l’histoire de l’Espagne qui permet de dresser l’évolution des liens entre culture et politique sur une période longue (C. Gaignard). Les deux autres articles ont trait au domaine de prédilection de Thomas Gomez : la Nouvelle-Grenade. Ils dessinent les contours des interactions entre les individus et les contextes culturel, social, économique et politique. Dans le premier cas, il s’agit de mesurer le cheminement contrasté, dans l’espace et dans le temps, des nouveaux savoirs et des acteurs qui les portèrent dans la période qui précéda de peu les premières manifestations de résistance au pouvoir colonial mais aussi de rendre compte de la dimension « militante » de ce combat pour la science (J. Chenu). Dans le second cas, à travers l’évocation de la traduction/interprétation en espagnol par Antonio Nariño d’un texte dont la circulation était interdite dans les vice-royautés espagnoles – la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen – et à travers l’analyse de la défense qu’en fit le grand érudit néo-grenadin lors des poursuites pénales qui s’ensuivirent, il est donné au lecteur d’apprécier la portée d’un document essentiel dans la formation d’une identité créole (J.E. González).
    La seconde section a trait aux rapports entre l’École – envisagée dans ses différents degrés – et l’État. Il s’agit d’analyser plus particulièrement les choix idéologiques et politiques dans lesquels le système éducatif s’est trouvé impliqué à l’époque de la construction ou de la consolidation des États-nations en Amérique espagnole. Tel fut le cas de la fondation de l’Université du Chili, dont le premier recteur fut le Vénézuélien Andrés Bello, illustre figure des lettres américaines. Dans son discours d’inauguration en novembre 1843, il soulignait l’importance de la construction des savoirs et de la supervision de l’enseignement primaire, insistant sur le lien entre université et société. L’analyse détaillée du contenu des Anales de la Universidad de Chile fournit nombre de renseignements sur les fonctions assignées à l’Université, son fonctionnement et sa production (N. Jammet-Arias). Un autre exemple est celui de l’Équateur avec la réouverture de l’Université Centrale par le régime progressiste (1883-1895), ambitieux projet de modernisation fondé sur l’amélioration des conditions matérielles de l’Université et la priorité donnée à l’enseignement scientifique et technique, en particulier en Agronomie. Cet élan modernisateur s’inscrit plus largement dans le projet de construction nationale visant à permettre une meilleure insertion du pays sur le marché international, en profitant de l’essor des exportations de cacao (A. Medina). L’Équateur encore avec l’apparition, en 1901, des « jardins d’enfants », réalisés grâce aux efforts de Luis Vicente Torre. L’introduction de ce modèle éducatif par un prêtre équatorien, en pleine Révolution libérale, permet de mieux cerner les relations qui se mirent en place entre l’État et l’Église à partir de 1895, période à partir de laquelle s’opéra la sécularisation des structures de l’État (E. Sinardet). D’« apôtres laïcs » du régime libéral, il est aussi question dans la Bolivie du début du XXe siècle qui s’employa, non sans rencontrer des difficultés et des résistances, à constituer, organiser et étatiser un corps enseignant professionnalisé avec la création d’instituts spécialisés, sur le modèle des Écoles normales européennes (F. Martinez). Enfin, pour l’époque contemporaine, une comparaison entre la Colombie et l’Espagne montre que ces deux pays, en dépit de différences notables, partagent des problématiques notamment sur les effets des politiques économiques, actuellement appliquées dans ces deux pays. Dans un contexte d’économie de marché et de la connaissance, les conséquences de ces politiques s’avèrent néfastes pour le service public en général et pour les systèmes éducatifs de ces nations en particulier (S. Ospina et M. Pujol).
    La troisième section s’intéresse aux formes, aux acteurs et aux vecteurs de la transmission et de la diffusion de la culture en Espagne et au Mexique. Un article offre une synthèse des principaux éléments qui permettent de mieux comprendre comment le franquisme a utilisé l’enseignement de l’histoire pour légitimer et, ce faisant, consolider son pouvoir, lors de ses premières années d’existence : transformation du cadre et du système éducatif, élaboration de mythes servant à renforcer l’image et l’identité du régime, intégration de nouveaux professeurs d’histoire à l’Université, qui devaient suivre, ou feindre de suivre, les principes du régime (A. Román Antequera). Celui qui fut maire de Madrid de 1979 à 1986, Enrique Tierno Galván, fait l’objet d’une polémique qui renvoie à une période de la vie de cette figure emblématique de la Movida : celle où il était professeur de Droit politique à l’Université de Murcie, de 1948 à 1953. L’analyse met en évidence l’intérêt qu’il y aurait à envisager son autobiographie comme un « objet de discussion herméneutique » et un exercice rhétorique d’auto-mythification, réussi, par l’une des figures les plus populaires du franquisme tardif et de la Transition (J. Céspedes).
    Le contrôle de la production et la diffusion de la connaissance, de la culture et l’instrumentalisation de l’histoire ne sont pas moindres dans le monde hispano-américain, en l’occurrence au Mexique. C’est ce qui ressort de la comparaison de deux institutions au XIXe siècle : une société savante et un établissement d’enseignement supérieur créé en 1781. Les recoupements entre les élites politiques, scientifiques et artistiques, ainsi que la vision de l’histoire mexicaine présentée par ces institutions et, dans le cas de l’Académie de San Carlos, la réception des propositions, sont ainsi mis en valeur (M. Lecouvey). Plus près de nous, l’introduction de nouveaux programmes scolaires en 1992 et la rédaction de nouveaux manuels d’histoire (1972-1989), confiée à un groupe d’édition privé, ont enflammé les esprits, mettant au cœur du débat l’écriture de l’histoire nationale. Faisant partie d’une nouvelle politique éducative, l’histoire du Mexique y était, en effet, construite au prisme des nouveaux enjeux du monde contemporain et de la doxa de l’économie libérale (D. Chine Lehmann).
    Face à cette annexion de l’histoire par les pouvoirs officiels, des résistances et des contre-pouvoirs ont toujours existé. Ils font l’objet d’une quatrième section. Ainsi, en Colombie, en 1939, l’activiste nasa Manuel Quintín Lame rédigea-t-il Los pensamientos del Indio que se educó en las selvas colombianas dans lequel à travers un travail de recomposition historique il proclamait son droit à l’autoreprésentation et revendiquait la légitimité des luttes indigènes pour le territoire. Outre la remise en cause du projet national civilisateur des élites républicaines et du rôle des institutions chargées de sa diffusion, le texte de Lame engage aussi un processus de décolonisation épistémique (Ph. Colin). L’histoire de la Catalogne au XXe siècle, étudiée à travers l’existence d’associations privées et d’institutions officielles (ou clandestines dans les périodes de dictature de l’État espagnol) à finalité culturelle et à vocation éducative, l’analyse de leurs actions, de leur rôle et de leurs avatars sont un exemple de la permanence des résistances, notamment linguistiques (M. Camprubí). Toujours en Espagne, un regain d’intérêt pour les Missions pédagogiques de la Seconde République s’est manifesté, au début du XXIe siècle, à travers des documentaires, des expositions et des programmes radiophoniques. Il faut y ajouter, plus récemment, l’écriture de fictions (El club de la memoria et Todo lo que se llevó el diablo) qui revisitent cette aventure emblématique de la politique scolaire du premier bienio et veulent faire œuvre de pédagogie sociale dans l’Espagne contemporaine (Z. Carandell).
    Une cinquième section est consacrée plus particulièrement à l’écrit, au livre et aux bibliothèques, tous termes chers à l’homme d’archives par excellence, à l’auteur de fictions et au directeur de collection que fut Thomas Gomez. Une enquête judiciaire réalisée en 2006 a révélé au grand public l’existence de plusieurs bibliothèques dans des lieux institutionnels ou dans des demeures personnelles appartenant au général Pinochet. Le questionnement sur l’origine, la nature et la quantité de livres réunis, parmi lesquels des ouvrages d’une grande valeur bibliographique – ce qui leur confère aujourd’hui un indiscutable intérêt économique – et l’étude des modes de financement éclairent d’un jour inédit la personnalité du général chilien (A. de la Llosa). Après avoir réalisé un état des lieux des initiatives éditoriales et du bilan des politiques culturelles (promotion du livre et de la lecture en particulier) dans le Chili post-dictatorial, l’analyse des discours qui les sous-tendaient permet de mesurer la portée et les limites de leur apport à la reconstruction démocratique du pays (S. Decante).
    Comme en miroir à l’évocation initiale de la présence française en Amérique latine depuis le XIXe siècle, ce premier ensemble se ferme sur un très suggestif panorama du fonds bibliographique latino-américain (livres et manuscrits) de la Bibliothèque nationale de France depuis 1875 (année de l’entrée en vigueur d’une nouvelle classification) jusqu’au Boom de la seconde moitié du XXe siècle (F. Rodríguez López).

    Un second ensemble, organisé autour de deux thématiques, complète cet hommage. La première Espaces et cultures articule politique et culture appréhendées à travers l’évocation de figures littéraires, de pratiques associatives et de représentations historiques dans les mondes hispanique, hispano-américain et méditerranéen.
    Trois contributions rendent compte du complexe processus d’adaptation des modèles européens aux réalités hispano-américaines. C’est ce que montre l’étude de la première génération d’intellectuels et, en particulier, des idéologues du Salon Littéraire de 1837, dans les premières décennies qui suivent l’indépendance du Río de la Plata. Les enjeux de l’époque sont alors la construction d’une nation, la lutte contre la dictature de Juan Manuel Rosas et le sentiment de l’urgence qu’il y avait à forger l’indépendance esthétique du pays (A. Gasquet). À la même période à Cuba, dans ce qui demeurait une possession de l’empire espagnol, une figure littéraire cristallisait tout à la fois les craintes et les préjugés d’une époque mais aussi les rêves et les idéaux d’une élite intellectuelle qui luttait pour la libération des Antilles : celle du poète mulâtre, Gabriel Concepción Valdés, dont la critique très contrastée de l’œuvre poétique et de la vie fournit un riche matériau pour l’étude des imaginaires antillais (M. Guicharnaud Tollis). Un autre exemple de la circulation des savoirs et des techniques en même temps qu’un indice de la vitalité des utopies (et de la difficulté à les adapter) est donné par le Brésil esclavagiste du XIXe siècle. Constituant un terrain fertile pour le débat d’idées en raison de l’existence d’un important réseau associatif, le Pernambouc vit, au milieu du siècle, la publication de O Progresso, une revue sociale, littéraire et scientifique, d’inspiration fouriériste qui occupe une place singulière dans l’histoire de la presse brésilienne, voire même latino-américaine (Cl. Poncioni).
    De l’importance de l’existence de réseaux et d’espaces de sociabilités pour comprendre la réalité sociale, l’étude de la franc-maçonnerie à Cuba, en tant qu’élément constitutif de ce maillage vers lequel convergeaient les élites havanaises, et plus globalement cubaines, fournit une série d’éléments suggestifs. Ainsi les liens de l’espace maçonnique avec d’autres réseaux, notamment celui qui se développa autour de la construction du chemin de fer dont l’influence fut décisive pour la consolidation institutionnelle de la franc-maçonnerie dans la capitale cubaine, en offrent-ils un exemple probant (D. Soucy).
    Deux articles témoignent de l’intérêt des regards croisés. Dans la perspective d’approfondir l’examen des représentations ayant trait au lien colonial qui a uni Philippins et Espagnols pendant trois siècles, et de mieux comprendre le processus de récupération du legs historique, le recours à des sources, peu sollicitées, est ainsi examiné. Il s’agit de s’intéresser, autant que la documentation le permet, au regard que les Philippins, installés en Espagne ou restés dans l’archipel, portaient sur les Espagnols qui vivaient dans les îles et plus largement sur la société péninsulaire de la seconde moitié du XIXe siècle (H. Goujat). Autre regard croisé faisant l’objet d’une analyse est celui que porte le poète cubain, Nicolás Guillén, sur la Caraïbe insulaire et continentale, au XXe siècle, témoignant de sa capacité à cerner l’espace-temps du continent latino-américain et à envisager les formes et les limites de son intégration (Y. Thiao).
    Ancrées dans le monde contemporain, deux études analysent l’impact du monde médiatique, l’une sur le monde politique et l’autre sur le monde sportif et conduisent à un questionnement sur l’histoire, la mémoire et l’identité. L’évocation à travers la presse française et espagnole de l’itinéraire de Federica Montseny, militante anarchiste, importante figure de l’histoire espagnole de la Seconde République, morte “oubliée” en 1994, fait apparaître, en France, les ambiguïtés du discours sur la violence et en Espagne, l’effacement de pans entiers de l’histoire récente lors de la Transition (M.C. Chaput). Désignant un système défensif très rigoureux, le catenaccio (verrou ou cadenas en italien) connote une attitude mentale identitaire, migrée des schémas tactiques du football, dans la société italienne de l’après-guerre jusqu’à la fin de la Première République des années 1990. À partir de cette métaphore, il s’agit de retracer l’impact de la mentalité footballistique et de son fonctionnement médiatique en Italie, à travers le débat sportif, intellectuel et politique (G. Gargiulo).

    La seconde thématique porte sur Terres et productions. Une première contribution évoque le conflit social, opposant les titulaires du domaine direct et ceux du domaine utile pour la possession des terres, qui secoua le Nord et le Nord-Ouest de l’Espagne, dès la fin du XVIIe siècle et principalement durant les décennies centrales du XVIIIe siècle (P. Luna).
    Les trois autres contributions ont trait, chacune, à l’utilisation et aux formes économiques et sociales de l’exploitation de certaines matières premières américaines du XVIe siècle au début du XXe. Les savoirs médicinaux européens furent ainsi confrontés à l’apparition de nouveaux remèdes d’origine américaine, à de nouvelles maladies et de nouvelles thérapeutiques. L’analyse des pratiques retracées dans les différents discours et traités des médecins d’Europe occidentale entre 1510 et 1580 fait apparaître des variations dans la réception et le degré d’incorporation selon les lieux d’expérimentation et l’expérience qu’en avaient les “médiateurs” (L. Bénat Tachot). Si l’insubordination d’esclaves fut toujours une source de tracas pour les propriétaires de plantations cacaoyères, les soulèvements à proprement parler semblent avoir été relativement rares au cours de la période qui suivit l’Indépendance, ce qui rend particulièrement significative l’analyse de deux révoltes, respectivement en 1837 et 1845, qui eurent lieu dans la région d’Ocumare de la Costa (Venezuela). Elles éclairent d’un jour nouveau le type très particulier du lien entre maîtres et esclaves dans le contexte de la production de cacao de l’après-Indépendance (N. Harwich). Si des politiques d’exploration et de colonisation de la Selva furent conduites dans le Pérou républicain dès les années 1840, ce fut l’explosion de la demande du caoutchouc qui permit à l’Oriente d’acquérir une visibilité nationale et internationale. La leyenda del caucho (1906) du Liménien Carlos Amézaga consacra la réalité du nouvel espace économique, le choix du mode épique soulignant le rôle de nouvel Eldorado assigné à la région nord-orientale dans l’imaginaire collectif (C. Heymann).

    Puisse cet ensemble d’articles refléter le respect de la communauté scientifique pour le travail de l’historien, les vertus du pédagogue, le talent de l’auteur et le brio de l’homme de conviction que fut Thomas Gomez.


    Catherine HEYMANN
    Nathalie JAMMET-ARIAS
    Alvar de la LLOSA

     

     SOMMAIRE

     

    Alvar DE LA LLOSA et Itamar OLIVARES – Hommage

    Catherine HEYMANN, Nathalie JAMMET-ARIAS et Alvar DE LA LLOSA – Présentation

    Jean-Yves MOLLIER – Le rôle du livre et de l’imprimé dans la construction de l’espace culturel français en Amérique du sud

     

    Savoirs et pouvoirs

    Catherine GAIGNARD – La diffusion du savoir à Grenade, du règne de Charles Quint à l'avènement des Bourbons

    Jeanne CHENU – Savoir et pouvoir en Nouvelle-Grenade (1760-1810) : une passion insatisfaite

    Jorge E. GONZÁLEZ – La interpretación de Antonio Nariño sobre Los derechos del hombre y del ciudadano en los inicios de la emancipación de la Nueva Granada

     

    École et État

    Nathalie JAMMET-ARIAS – L'Université du Chili pendant le rectorat d'Andrés Bello (1842-1865) : un appareil idéologique de l’État chilien…

    Alexis MEDINA – «Saldrá de esta Universidad una juventud honrada, inteligente y laboriosa» : le projet de modernisation de l’Université Centrale de l’Équateur pendant la période progressiste (1883-1895)

    Emmanuelle SINARDET – L’introduction de la pensée fröbelienne en Équateur (1900-1908) : Révolution pédagogique et révolution libérale

    Françoise MARTINEZ – Enseigner à enseigner : une histoire des « Écoles Normales » et de la formation enseignante en Bolivie

    Mercè PUJOL et Santiago OSPINA – Globalización y transformación de la Universidad. Miradas cruzadas España-Colombia

     

    Formes, acteurs et vecteurs de la transmission

    Alejandro Román ANTEQUERA – L'enseignement de l'histoire dans les premières années du franquisme

    Jaime CÉSPEDES – Enrique Tierno Galván en la Universidad de Murcia (1948-1953)

    Marie LECOUVEY – Servir la nation, pas le gouvernement ? La Sociedad Mexicana de Geografía y Estadística et la Academia de San Carlos entre 1849 et 1876

    Dalila CHINE LEHMANN – Quand les « spécialistes » mexicains s’emparent de l’Histoire : élaboration des manuels scolaires et enjeux nationaux

     

    Résistances

    Philippe COLIN – Territoire, mémoire et décolonisation des savoirs dans Los pensamientos del indio que se educó en las selvas colombianas de Manuel Quintín Lame

    Zoraida CARANDELL – Les Missions Pédagogiques, du récit d’hier au roman espagnol d’aujourd’hui : transmettre et repenser l’héritage culturel républicain

    Michel CAMPRUBI – Le cas catalan : associations et institutions de sauvegarde et récupération de la langue du pays (XXe siècle)

     

    De l'usage des livres et des bibliothèques

    Alvar DE LA LLOSA – De la Biblioteca a la Academia, o formación y uso de la biblioteca no tan secreta de un « augusto » general chileno que pretendía ser experto en Geopolítica 247 C1-2 Stéphanie Decante – Del Fondo del Libro a la Furia del Libro: de la función asignada al papel desempeñado (1989-2015)

    Fabiola RODRÍGUEZ LÓPEZ – Presencia de la literatura latinoamericana en la Biblioteca nacional de Francia. Breve visión de conjunto de 1875 hasta el Boom

     

    Varia

    Espaces et cultures

    Axel GASQUET – El pensamiento ilustrado y el romanticismo en el Río de la Plata: modernidad y vanguardia estética en el Salón Literario de 1837

    Michèle GUICHARNAUD-TOLLIS – La invención de América: el poeta cubano Plácido en los imaginarios antillanos

    Claude PONCIONI et Georges ORSONI – Fourier sous les tropiques : la revue O Progresso dans le Pernambouc du XIXe siècle

    Dominique SOUCY – Logias sobre raíles. El impacto del ferrocarril en la disputa por la hegemonía masónica en la isla de Cuba (1850-1880)

    Hélène GOUJAT – El desencuentro colonial entre españoles y filipinos en la segunda mitad del siglo XIX: entre realidad y representación

    Yopane THIAO – La Caraïbe à travers les écrits de Nicolás Guillén

    Marie-Claude CHAPUT – Federica Montseny (1905-1994) : vers la fin d’un oubli ?

    Gius GARGIULO – Défendre le score. Vivre et raconter le foot comme tragédie

     

    Terres et productions

    Pablo LUNA – Terre et droit en Galice au milieu du XVIIIe siècle : entre le « manifiesto legal » et la « natural razón »

    Louise BÉNAT-TACHOT – Entre tradición y experiencia: la emergencia del saber americano en la farmacopea europea

    Nikita HARWICH – Tumulte dans la cacaoyère : révoltes d’esclaves à Ocumare de la Costa (Venezuela), 1837 et 1845

    Catherine HEYMANN – Oriente péruvien et construction nationale dans La leyenda del caucho de Carlos Amézaga

  • Crisol : Les figures du rebelle
    No 20 (2016)

     Le numéro 20 de la revue Crisol, intitulé Les figures du rebelle, est un volume collectif qui rassemble les contributions des trois groupes de recherche de l’EA 369 Études romanes – le CRIIA, le CRIX et le CRILUS. Le choix de ce thème nous a semblé fédérateur car le rebelle­ – « celui qui déclenche la guerre », « qui relève la tête », « qui refuse de s’humilier », est une figure très représentative des pays issus de la romanité, socle fondateur de cultures qui peu à peu forgeront leur identité propre. Dès la conquête romaine, il y a une Hispania, qui résiste, et de nombreuses Numance jalonneront l’histoire de ces rébellions contre l’Empire. Rétrospectivement on constate que l’aire romane a fomenté des formes de résistance sui generis, rebelle, rebelde, ribelli…, au XIXe siècle, chemises rouges de Garibaldi, guérillas contre les troupes napoléoniennes, lesquelles deviendront ce type de guerre révolutionnaire qui embrasera l’Amérique latine. Avant même la Révolution russe, la Révolution mexicaine deviendra le paradigme en la matière jusqu’à ce que l’autre Révolution, la Cubaine lui succède.

    On se rebelle contre tout pouvoir coercitif, politique, culturel, économique, religieux. On lutte contre le grand propriétaire terrien, contre le maître esclavagiste, dans le palenque ou quilombo, contre les différents régimes autoritaires – fascisme, franquisme, salazarisme – ou simplement contre les institutions d’un pays, d’une république dans laquelle un groupe humain, un clan, ne se reconnaît pas. Il s’agira de rébellion souvent menée par un chef charismatique qui précipitera la fin d’une société par la lutte clandestine, la guérilla, et annoncera un nouvel ordre révolutionnaire ; s’il triomphe, le rebelle entrera dans l’Histoire. Mais le héros vaincu sera oublié.

    La constitution d’États Nations au XIXe siècle en Europe, mais aussi en Amérique Latine – quand le Brésil devient une République – réactivera des formes de résistances ancestrales : banditisme, bandes armés, sicarios dans les sociétés gangrénées par la drogue.

    Les différentes contributions de cette nouvelle livraison de la revue CRISOL proposent ainsi une lecture des nombreuses et très variées figures iconiques que l’aire romane n’a cessé de secréter : guérilleros, milicianos, pasionarias, soldaderas, jusqu’aux Indignados qui depuis la Plaza Mayor de Madrid ont essaimé la contestation, à l’origine d’un vaste mouvement de protestation en Europe et aux Etats-Unis contre « l’horreur économique » que signifient les brutales politiques néolibérales du XXIe siècle et l’échec de la social-démocratie.

    Dans la première partie « Le rebelle entre dans l’Histoire», les contributions s’interrogent sur la façon dont celui qui prend les armes contre l’envahisseur, qui conteste un pouvoir despotique, entre un jour dans l’Histoire, récupéré, iconisé, grandiose symbole identitaire, souvent redécouvert au gré des régimes politiques en cours. Il peut aussi tout en demeurant une figure « anonyme» aux yeux de l’Histoire officielle, être revendiqué par la mémoire collective, populaire. L’image du rebelle est médiatisée, réinterprétée, relayée, perpétuée par la littérature, la statuaire, la peinture, les arts visuels.

    En ouverture de cette première partie, la communication de Bernard Darbord et de César Garcia de Lucas, consacrée à l’infant don Juan Manuel, auteur du Conde Lucanor rappelle combien de tout temps la figure du Monarque, doté d’un pouvoir absolu suscite chez le vassal, l’effroi, mais pousse aussi à la rébellion. Amélie Djondo s’intéresse au personnage de la reine rebelle dans la comedia du Siècle d‘Or ; directement inspirée des grandes reines de l’Histoire antique et moderne, entre regina justa et regina horrens, celle-ci s’insurge contre un rôle prédéfini.

    Les communications suivantes questionnent la fabrique de l’Histoire. Marie Lecouvey analyse deux figures historiques mexicaines, Emiliano Zapata et Cuauhtémoc. L’une et l’autre incarnent la rébellion ­– Cuauhtémoc, martyr sacrifié par les Conquistadores et Zapata le héros révolutionnaire ; mais l’une et l’autre, dans la statuaire, dans l’iconographie, dans le discours identitaire, dans la célébration, seront différemment traitées. La figure de Zapata fluctue au gré de la Révolution officielle, celle du PRI qui l’aseptise et lui préfère comme accessoire l’épi de maïs au fusil… alors que l’ELNZ du subcomandante Marcos en 1994 revendique l’homme en armes. Étrangement, Cuauhtémoc le dernier empereur aztèque semble avoir une destinée ambiguë. En tant que héros national, il ne semble pas être revendiqué comme une figure de rébellion du peuple mexicain, la filiation identitaire restant au niveau de l’histoire officielle, difficile. La figure du rebelle oubliée délibérément par l’Histoire sous un régime autoritaire, peut retrouver son statut de personnage historique, enfin reconnu, quand revient la démocratie ; c’est le cas en Équateur de Luis Vargas Torres dans la communication d’Alexis Medina ; dirigeant libéral, il sera exécuté en 1887 sous le gouvernement autoritaire de Caamaño ; et c’est après le triomphe de la révolution libérale de 1895 que commencera la réhabilitation de celui qui depuis 2012 est devenu un « héros national ». José Carlos Janela Antunes retrace l’étonnante biographie d’Henrique Galvão (1895-1970), qui symbolise au Portugal le combat contre Salazar, mais aussi contre tous totalitarismes ; il sera d’ailleurs décoré à titre posthume par le président Mário Soares en 1991. Citons encore le cas du charismatique jeune communiste équatorien, Milton Reyes, opposant au régime de J. M. Velasco Ibarra et exécuté en 1970 ; sa fille, Natacha Reyes Salazar, tente de réhabiliter son souvenir dans un livre autobiographique, Los 60’s sin Rock (2011) qui est également un plaidoyer afin que la mort de son père soit reconnue comme un crime politique, comme on peut le lire dans la communication de Diana Sarrade Cobos. Mais qui mieux que Puig Antich pour incarner la figure du jeune rebelle, militant politique exécuté en 1975 ? Canela Llecha Llop, à partir du film Salvador de Manuel Huerga (2006), démontre comment la figure canonique, qui cristallise un passage charnière, celui de la fin du franquisme à l’avènement de la démocratie, devient dans le film une icône mercantilisable, qui ressortit davantage du mauvais garçon et du bandit ; c’est une figure hypersémantisée, car elle réunit sur sa personne tous les clichés et stéréotypes que l’on attribue en général au rebelle. Enfin cette dernière partie se termine par la communication de Marie Isabelle Viera sur le migrant portugais vu à travers deux récits : A noite e o riso de Nuno Braganca (1969) et la nouvelle de J. M. G. Le Clezio « Ô voleur, voleur, quelle vie est la tienne ? » (1982) ; héros anonyme, à la fois révolutionnaire et rebelle bandit, il conteste le système d’exploitation dont il est victime en tant qu’émigré portugais et grâce à la littérature, entre ainsi dans l’intrahistoire.

    Si le rebelle prend les armes, il utilise aussi les idées, les mots, l’écriture pour résister et témoigner, tel est l’objet d’étude de notre deuxième partie intitulée « Résister, témoigner ». Ainsi dans les deux premières communications, on comprend l’importance du rôle de l’écriture, arme qu’il faut brandir pour s’affirmer, mais surtout combattre contre les inégalités d’une société injuste ou éthiquement scandaleuse. L’insoumission des « Trois femmes puissantes » dans l’article de Françoise Aubès témoigne d’un Pérou discriminatoire, violent, machiste, qu’il s’agisse de celui de la romancière pré-indigéniste Clorinda Matto de Turner, de la franco péruvienne Flora Tristan ou de celui de María Elena Moyano au XXe, qui en plein terrorisme de Sentier Lumineux tentera par son action militante de s’opposer au fanatisme de ce mouvement. Dans ces trois cas, il s’agit de passer de l’espace privé à l’espace public, de revendiquer sa place ailleurs que dans le confinement de la maison. Ce que font également des trois intellectuelles espagnoles – Concha Méndez Cuesta (1898-1986), Ernestina de Champourcin (1905-1999) et Carmen Conde (1907-1996) – auxquelles s’intéresse Allison Taillot ; le récits autobiographique de ces « rebelles à la plume », vise non pas l’évocation rétrospective de souvenirs privés, mais par l’acte d’écrire, la reconnaissance publique. Le genre autobiographique qui se prête donc parfaitement à un travail de réflexion sur la construction identitaire, prend un tour particulier dans le cas de celles « des frondistes de gauche » – Vittorini, Gambetti et Lajolo – qu’analyse Pierpaolo Naccarella. Ces jeunes intellectuels fascistes, qui contestèrent non pas l’idéal fasciste, mais sa pratique, deviendront pour deux d’entre eux des communistes déçus qui ne se rebelleront pas contre le PCI, auquel ils devaient leur « réhabilitation ». L’écriture est aussi l’essence même de la rébellion et tout particulièrement pour le poète : le poète est un hors-la-loi, comme le définit Béatrice Ménard en étudiant Altazor du chilien Vicente Huidobro (1893-1948), dont la rébellion est avant tout « mort et résurrection du langage », rupture, transgression, dégrammaticalisation ; il faut tout détruire pour créer un autre monde. On retrouve cette même rébellion chez le poète hispano-mexicain, Tomás Segovia (1927-2011), qui a fait de l’insoumission une manière d’être et d’écrire comme l’explique Judite Rodrigues à la lumière de son œuvre poétique, mais aussi de ses essais, dans lesquels il prône la sédition contre l’immonde monde de « l’homo consummens ». En conclusion de cette deuxième partie consacrée à l’écriture comme forme de résistance et de témoignage, la contribution de Graça Dos Santos montre comment le théâtre sous une dictature comme celle de l’Estado Novo de Salazar peut être un agent de contestation dans un pays opprimé ; c’est le cas de la compagnie du Teatro Moderno de Lisboa (1961-1965) quand elle représente L’encrier de Carlos Muñiz en deça des Pyrénées ; mais jouée à Paris, la pièce perdra de sa ferveur protestaire.

    Dans la troisième partie « Héros et mythes populaires », les contributeurs s’intéressent aux formes délictueuses de la rébellion. Quand les états modernes se constituent au XIXe siècle, sont réactivées alors des formes de résistance culturellement présentes depuis des siècles, en la personne du bandit et de son code d’honneur « la balentia» en Sardaigne ; les bandits sardes du Mezzogiorno de l’état italien, incarnent la rébellion conte l’autorité locale, puis contre un nouvel ordre social, économique. C’est l’évolution de la figure du bandit sarde qu’analyse Giuliana Pias à travers les romans de G. Deledda, S. Atzeni, et M. Fois, montrant comment cette figure permet une relecture de l’histoire de la Sardaigne. La rébellion se décline aussi au féminin comme on peut le lire dans plusieurs communications. Dans celle de Ramona Onnis, sont étudiés dans une perspective postcoloniale les personnages féminins de deux romans de Sergio Atzeni : Juanica dans le roman historique La fable du juge bandit, et Cate dans Bellas mariposas dans la Cagliari d’aujourd’hui. La rébellion des femmes n’est pas exempte d’ambigüité, celles-ci s’arrogent en effet le droit d’être aussi sanguinaires et cruelles que leur compagnon ou que ces hommes machos, leurs ennemis qui les asservissent et les maltraitent. Ainsi au Brésil Maria Déia, devient sous le nom de Maria Bonita une figure légendaire comme l’explique Véronique Le Dû, évoquant la compagne de Limpião, célèbre cangaceiro dans le sertão reculé du début du XXe ou les bandes de cangaceiros font la loi, s’insurgeant contre une république dont la devise est Ordre et Progrès. Maria Bonita, n’est pas une soldadera, elle combat, pille, manie les armes en véritable cangaceira. Et elle subira le même sort que les hommes de la bande de Lampião, exécutés le 28 juillet 1938 par la police. La délinquance au féminin se développe aussi dans le contexte urbain de sociétés où à l’autorité de l’État s’est substituée celle de groupe maffieux, comme le met en scène dans son roman 9 mm parabellum (2008) l’écrivain équatorien Alfredo Noriega dont Emmanuelle Sinardet propose l’analyse. Solitaire tueuse à gages, sanguinaire, mue par la haine des hommes, Esther échappe cependant au stéréotype de la sicaria car sa rébellion passe aussi par son amour de la poésie et de Borges ; figure complexe, le personnage d’Esther devient ainsi comme « l’étoile brillante d’un roman noir ». Dans une autre Amérique, celle des afro-descendants, le marronnage de fait (quilombo, palenque) qui est une manière de survivre à l’ordre colonial esclavagiste, s’accompagne aussi d’un marronnage discursif. C’est ce qu’étudient Sébastien Lefèvre et Paul Mvengou Cruzmerino à travers deux chansons mexicaines, forme de résistance à l’invisibilisation imposée aux afro-descendants en Amérique Latine. Se rebeller contre une société discriminatoire pour trouver enfin sa place, telle est la trajectoire de Cusumbo, le métis, symbole d’une nation en devenir dans la lecture proposée par Caroline Berge de Don Goyo, roman de l’Équatorien Demetrio Aguilera Malta (1933). Enfin la communication de Manuella Spinelli réfléchit sur cette autre forme de rébellion sans rébellion comme celle que met en scène le romancier italien Giuseppe Montesano dans deux romans, Dans le corps de Naples (2002) et Cette vie mensongère (2005) ; les protagonistes sont de jeunes trentenaires, sorte d’Oblomov modernes, et contrairement au précepte selon lequel « la valeur n’attend pas le nombre des années », ils refusent une société de gagnants ; rétifs à toute forme d’adhésion à une quelconque idéologie politique, ils sont convaincus de l’impossibilité de la rébellion aujourd’hui.

    Nous espérons que la lecture de cet ouvrage collectif permettra de mieux comprendre combien la figure du rebelle peut être paradoxale et complexe comme la liberté qu’il renvendique. Que ces collaborations permettent aussi au lecteur de s’interroger sur d’autres réalités non fictionnelles, celles d’une actualité qui montre, toutes aires géographiques confondues, que la condition humaine est et se doit d’être, celle de l’Homme révolté.

    Françoise Aubès avec la collaboration du comité scientifique :

    Zoraida Carandell, Graça Dos Santos, Lina Iglesias, Manuelle Peloille, Lucia Quaquarelli, Emmanuelle Sinardet

     

    SOMMAIRE

     

    Françoise AUBÈS – Avant-propos

     

    I. Première partie : Le rebelle entre dans l’Histoire

    Bernard DARBORD et César GARCÍA DE LUCAS – Don Juan Manuel en rébellion contre son roi (Espagne, XIVe siècle) : Poema de Alfonso Onceno et Conde Lucanor

    Amélie DJONDO– Le personnage de la reine rebelle dans le théâtre du siècle d’or

    Marie LECOUVEY – De Cuauhtémoc à Zapata : le double usage des figures de rebelles mexicains (XIXe-XXIe siècles)

    Alexis MEDINA – Luis Vargas Torres, martyr du libéralisme équatorien : la naissance d’un mythe

    Diana SARRADE COBOS – La construction de l’image du père rebelle dans le roman Los 60’s sin Rock de Natacha Reyes

    Canela LLECHA LLOP – Rebelle et tais-toi ! La représentation cinématographique de Salvador Puig Antich

    José Carlos JANELA-ANTUNES – Henrique Galvão : rebelle au nom de la justice et pour la liberté

    Marie-Isabelle VIERA – Le migrant portugais rebelle : figure marginale ?

     

    Deuxième partie : Résister, témoigner

    Françoise AUBÈS – Trois femmes puissantes

    Allison TAILLOT – L’écriture comme attribut de la rébellion dans les écrits personnels des « modernes de Madrid »

    Pierpaolo NACCARELLA – La rébellion contre le fascisme des « frondistes de gauche » dans leurs ouvrages autobiographiques (1944-1946)

    Béatrice MÉNARD – Altazor de Vicente Huidobro ou la rébellion du langage poétique

    Judite RODRIGUES – «La rebeldía cabal» : éthique et poétique du rebelle dans l’œuvre de Tomás Segovia

    Graça DOS SANTOS – Être ou ne pas être rebelle : L’encrier de Carlos Muñiz par le Teatro Moderno de Lisboa au Théâtre des Nations en 1962

     

    Troisième partie : Héros et mythes populaires

    Giuliana PIAS – Du bandit armé à la « balentìa » sans armes. L’évolution de la figure du rebelle dans le roman sarde contemporain

    Véronique LE DÜ DA SILVA-SEMIK – Représentation de Maria Bonita dans la littérature de cordel brésilienne

    Ramona Onnis – Le rebelle au féminin dans l’œuvre romanesque de Sergio Atzeni

    Emmanuelle SINARDET – La figure de la rebelle dans 9 mm parabellum d’Alfredo Noriega (2008) : de la sédition de la sicaria à la subversion de la lectrice

    Sébastien LEFÈVRE et Paul Raoul MVENGOU CRUZMERINO – Stratégie de résistance : figures rebelles dissonantes dans les Afro-Amériques

    Caroline BERGE – Cusumbo : un rebelle exemplaire dans le roman réaliste social équatorien Don Goyo de Demetrio Aguilera Malta

    Manuella SPINELLI – Une rébellion sans rebelle. Formes de représentation de l’antihéros dans les romans de Giuseppe Montano

  • Crisol : Engins, machines et cyborgs : « science-fiction » en Amérique latine
    No 19 (2015)

    Ce volume dont le titre Engins, machines et cyborgs : « science-fiction » en Amérique latine laisse entendre l’évolution d’un genre dont la spécificité originelle tient dans toute une machinerie technique qui ne cessera de muter, se propose d’étudier la représentation de cet imaginaire scientifique principalement dans la littérature. La première partie de l’ouvrage est consacrée aux contributions de plusieurs enseignants chercheurs dont la spécialité couvre des aires géoculturelles variées du Mexique au Cône Sud, en passant par les Caraïbes et le monde andin. La seconde partie est une anthologie de 15 nouvelles de science-fiction traduites par les membres du Collectif de Lectures d’ailleurs (http:/fr.calameo.com/accounts/261779) ; ces nouvelles complètent les études plus théoriques de la première partie, montrant le dynamisme et le renouveau du genre. Enfin il nous a semblé utile d’ajouter un index des œuvres les plus mentionnées dans les divers articles de la première partie de ce volume, donnant ainsi l’occasion au lecteur de tenter l’aventure d’une autre représentation de l’Amérique latine.

    Si la science-fiction naît en tant que genre avec l’avènement des machines, des technologies qui vont révolutionner l’avenir de l’humanité tout entière, génératrices de nouvelles utopies, celle d’un monde meilleur, il est d’usage de déclarer que l’Amérique latine, ayant connu historiquement un retard « technologique » ralentissant ainsi son accès à la modernité, n’a pu développer ce type de littérature. Or c’est tomber dans des généralités erronées qui supposent une vision globale et homogène de pays très différents. Comment comparer l’Argentine du début du XXe siècle, dont la capitale Buenos Aires est la New York de l’Amérique du Sud, avec le Pérou dont la capitale Lima, ressemble à une petite ville de province ? Ces considérations sur le développement inégal des villes ou plutôt de la « Modernité » questionnent l’existence ou la non-existence d’un lectorat potentiel et la fondation d’une tradition. Mais on peut néanmoins considérer qu’un imaginaire scientifique se développe, certes à des degrés divers, dans les fictions latino-américaines et ce dès la fin du XIXe siècle. S’inspirant des modèles européens et nord-américains, des avant-gardes, des mouvements futuristes, et de leurs propres rêves prospectifs et prédictifs, les écrivains latino-américains créeront des histoires où les machines et leurs inventeurs seront le moteur diégétique du récit (M. Tapia), mais à la lisière d’autres genres comme le genre fantastique (A. Linck). Selon les aires analysées, on peut retracer la naissance et l’évolution d’un genre fictionnel, genre ancillaire d’abord, inspiré de ce qui se fait en Europe, mais capable aussi de s’enraciner dans des sociétés dont le substrat mythique des cultures autochtones est la voie royale vers les mondes imaginaires. Les contributions sur Cuba (C. Lepage) et le Chili (M. Areco, F. Moreno), deux pays fondateurs du genre, montrent l’usage politique divergent de la science-fiction au gré de l’Histoire. En ce qui concerne les pays de tradition moindre ou invisible éditorialement, les contributions de E. Sinardet sur l’Equateur et de F. Aubès sur le Pérou, attestent néanmoins de la présence constante d’une littérature que l’on pourrait qualifier de périphérique. En inventant des mondes imaginaires, miroir déformant du présent, en prenant les chemins de traverse de l’Histoire, les écrivains lisent leur époque, imaginant des utopies possibles ou réinventant l’histoire de la Conquête (S. Rutès) dans le cas du Mexique. Il nous semblait indispensable de ne pas négliger l’apport du cinéma, présent dans la communication sur le film México 2000 de Rogelio González (E. Vincenot). Certains espaces plus que d’autres semblent propices à l’élaboration d’un monde science-fictionnel, c’est le cas de la Basse-Californie, pour Gabriel Trujillo Muñoz (A. Fabriol). Dans la deuxième moitié du XXe siècle, l’époque n’est plus aux utopies, mais plutôt au constat d’un monde désenchanté, car les extraordinaires voyages intersidéraux ont montré que le ciel est vide… La très violente conjoncture politique (dictature, régime totalitaire, guerres) trouvera dans le genre post-apocalyptique les outils adéquats pour dire un monde en ruines. (T. Orecchia-Havas, E. Delafosse). L’utopie des premiers temps a donc été remplacée par l’uchronie, la dystopie, le cyberpunk (J. García Romeu).

    Cette littérature que l’on dit « sans cesse périmée », car toujours dépassée par de nouvelles inventions technologiques, a traité ou traite de façon visionnaire tout ce qui aujourd’hui est devenu réalité. Et loin d’être réduite à une gadgetisation futuriste, elle pose les grands problèmes existentiels que toute société humaine tente de résoudre depuis la nuit des temps. La littérature science-fictionnelle latino-américaine n’est donc pas un genre rétrograde et confiné dans un registre codé, un peu méprisé. De grands noms ont contribué à en enrichir le registre ; les limites génériques dans lesquelles les modèles extérieurs auraient pu l’enfermer sont ainsi dépassées. Car, la spécificité de l’Amérique latine n’est-elle pas d’avoir été dès la Découverte, cet espace inimaginable, qui semblait déjà propice aux rencontres de troisième type, comme l’attestent bien des chroniqueurs du Nouveau Monde.

    Tout particulièrement présente aujourd’hui dans les revues électroniques, dans les blogs, transgénérique et transfictionnelle, elle semble résister de plus à plus à toute définition précise et afin de brouiller davantage encore les pistes, rappelons ce qu’énonce l’énigmatique et malicieux narrateur de «Tlön, Uqbar, Orbis Tertius» :

    «La metafísica es una rama de la literatura fantástica»…

    Françoise Aubès (coordinatrice)

    SOMMAIRE

    Françoise AUBÈS – Avant-propos

     

    Première partie : la science-fiction latino-américaine

    1-Poétique d’un genre ou le « merveilleux scientifique »

    Anouck LINCK – Les chemins non conformes de la raison :fantastique et science-fiction

    Miguel TAPIA – Las máquinas más allá de la ciencia. Tecnologías del saber en Juan José Arreola y Adolfo Bioy Casares

     

    2-Chili et Cuba : tradition et enjeux politiques de la littérature science-fictionnelle

    Macarena ARECO, Fernando MORENO – Políticas de la ciencia ficción en Chile: el porvenir hecho presenteok

    Caroline LEPAGE – Des Martiens, des OVNIS… et des Spoutniks sous les tropiques : la littérature science-fictionnelle cubaine

     

    3-Utopies mexicaines

    Sébastien RUTÉS – Dieu, la Conquête et l’espace : trois nouvelles mexicaines de science-fiction métaphysique (Fuentes, Porcayo, Zárate)

    Anaïs FABRIOL – Le récit de science-fiction comme représentation du monde frontalierdans l’œuvre de Gabriel Trujillo Muñoz

    Emmanuel VINCENOT – Satire et utopie dans México 2000 [Rogelio González, 1983]

     

    4-Le monde andin

    Emmanuelle SINARDET – Le monde désenchanté de la science-fiction équatorienne ? : «Viaje imprevisto» d’Alicia Yánez Cossío(1975) et «El analista» de Santiago Páez (1994)

    Françoise AUBÈS – Demain. Quelques réflexions sur le genre SF au Pérou

     

    5-Dystopie et écriture des ruines

    José GARCÍA-ROMEU – Del posmodernismo al ciberpunk, algunas vicisitudes de laanticipación en el Cono Sur

    Teresa ORECCHIA HAVAS – Arquitecturas apocalípticas: Una torre futurista en el borde de la ciudad

    Émilie DELAFOSSE – Plop de Rafael Pinedo: «ciencia rudimentaria y ficción de las ruinas»

     

    Deuxième partie : Anthologie de nouvelles de science-fiction d’Amérique latine

    Traductions dirigées par Caroline Lepage

    Gustavo COURAULT (Argentine) – hWord

    Claudia DE BELLA (Argentine) – Rédemption

    RPACOC (Pérou) – Le Rêve du robot

    Hugo AQUEVEQUE (Chili) – Bleu

    Daína CHAVIANO (Cuba) – L’Annonciation / Amoroso planeta (1983)

    Ricardo CANALES (Mexique) – Réveil

    Ronald DELGADO (Venezuela) – Réplique

    Claudio G. DE CASTILLO (Cuba) – Les pionniers de l’espace

    M.C. CARPER (Argentine) – Continuum Pi

    Eduardo CARLETTI (Argentine) – Cycles

    Eduardo M. LAENS AGUIAR (Uruguay) – DT

    Melanie TAYLOR (Panamá) – Graines

    Jorge Valentín MINO (Équateur) – Les Boutons noirs

    Mauricio DEL CASTILLO (Mexique) – Commerce de Répliques

    Juan Diego GÓMEZ VÉLEZ (Colombie) – Notre-Dame des Donneurs

  • Crisol : El discurso referido en los textos medievales españoles
    No 18 (2013)

    Numéro 18 de la revue Crisol - El discurso referido en los textos medievales españoles

    Discurso Referido
    Luz VALLE VIDELA, coordinadora del número - Introducción

    I. Aspectos lingüísticos del discurso referido
    Marta LÓPEZ IZQUIERDO – Según y como. Su origen y función como introductores de discurso referido

    II. El discurso referido en las formas narrativas breves
    Marcello BARBATO – «Pues, yo arrebataría, por Dios, sy non lo dixiese». La intemperancia verbal del Arcipreste de Talavera
    Olivier BIAGGINI – Discurso directo y discurso indirecto en El conde Lucanor de Don Juan Manuel
    José Luis GIRÓN ALCONCHEL  –El discurso indirecto y sus variantes en el texto del Sendebar

    III. El discurso referido en textos historiográficos y jurídicos
     Sophie HIREL – «Y si quiça me dixeredes». Réflexions sur le discours rapporté dans la chronique de Vagad (1499).
     Luz VALLE VIDELA – El discurso referido en los fueros anecdóticos del Libro de los fueros de Castiella

    Creación
    - Sam GOTE MOZ – Rameras y remeros

  • Crisol : France/Équateur : regards croisés
    No 17 (2012)

    Équateur, Équateur, j'ai pensé bien du mal de toi.
    Toutefois, quand on est près de s'en aller... et revenant à cheval à l'hacienda par un clair de lune comme je fais ce soir (ici les nuits sont toujours claires, sans chaleur, bonnes pour le voyage) avec le Cotopaxi dans le dos, qui est rose à six heures et demie et seulement une masse sombre à cette heure... mais il y a des mois que je ne le regarde plus... Équateur, tu es tout de même un sacré pays. [...]

    Henri Michaux, Ecuador, Journal de voyage, éditions Gallimard, Paris, 1929

     

    Le sujet des relations entre la France et la République de l’Équateur pourrait paraître éculé. Il est admis, en effet, que les penseurs français des Lumières ont influencé le processus indépendantiste de l’Audience de Quito et que les liens culturels, diplomatiques et scientifiques n’ont cessé depuis d’être denses et riches. Ce serait oublier l’évolution de ces relations ainsi que les reformulations des divers transferts culturels qu’elles ont pu susciter. Ce serait également laisser de côté la notion d’échanges et d’apports réciproques.

    Au-delà de l’attrait de la mode ou de la gastronomie françaises ; au-delà de la curiosité que suscite l’Équateur en France ; au-delà des œuvres d’un Montalvo ou d’un Michaux, il convient de s’interroger sur le genre de ces relations, à travers l’espace et le temps, ainsi que sur les modalités de leurs manifestations. Il s’agit aussi d’observer les évolutions récentes, celles du 21e siècle, où les relations privilégiées entre les deux pays peuvent, de prime abord, sembler plus lâches.

    Si la France et l’Équateur ont eu des relations ininterrompues, y a-t-il eu des fluctuations, des résistances, des heurts voire des rejets ? Quelles en ont été les raisons ? Sur quelles représentations réciproques ont-elles pu déboucher ? L’importance stratégique des relations réciproques, l’intérêt politique et économique sont, à ce titre, des thèmes d’étude fructueux au même titre que la valeur civilisationnelle et culturelle de ces rapports bilatéraux. Les deux dimensions peuvent d’ailleurs s’avérer complémentaires et se nourrir mutuellement. Y a-t-il une passion franco-équatorienne ? Quelles en seraient les manifestations et les modes d’expression ? Les temps forts et les temps faibles ? Peut-on parler de la circulation de « modèles » entre les deux pays ? Si tel est le cas, comment ont-ils pu stimuler la production du savoir, et quels formes et cadres socioculturels ont présidé à leur transmission ?Le questionnement sur les relations franco-équatoriennes est riche, car il implique la notion de « regard ». Du point de vue équatorien, il pose la notion d’un éventuel héritage de la pensée française. Si cet héritage existe, y a-t-il eu « détournement » de cette dernière, réappropriation et reformulation ? Comment et dans quels buts ? Du côté français, la réflexion peut prendre une dimension méthodologique. Peut-on se prononcer sur la réalité équatorienne depuis la France sans verser dans des postures empreintes d’une forme de néocolonialisme culturel ou sans éviter les lieux communs ? L’étude des relations franco-équatoriennes nous invitent ainsi à réfléchir sur les modes de construction, à un moment historique donné, de la représentation d’un ailleurs lointain, parfois idéalisé, par le biais de clichés, de stéréotypes, de mythes, de caricatures ou d’images pittoresques et exotiques. Plus largement, de Montalvo à Gangotena ou à Michaux, l’espace réel, géographique, est aussi celui de l’imagination et d’une certaine quête de soi. Aussi proposons-nous une approche pluridisciplinaire qui cerne la nature mais aussi les évolutions des relations, échanges, transferts et rencontres entre les deux pays.

    Les travaux présentés ici sont le fruit d’une réflexion collective menée dans le cadre de rencontres et plus précisément du colloque international sur le thème « France-Équateur : regard croisés » qui s'est tenu les 2 et 3 décembre 2011 sur le campus de l'Université Paris Ouest Nanterre – La Défense. Ce colloque et la publication du présent volume viennent célébrer les quarante ans du Centre d’études équatoriennes, fondé en 1972. Qu’il nous soit permis ici renouveler nos remerciements aux appuis qui ont permis la célébration de cet anniversaire : le CRIIA (Équipe d´accueil 369), l’École doctorale Lettres, langues, Spectacles (ED 138), l’UFR LCE de l’Université Paris Ouest Nanterre – La Défense, l’association des historiens de l’Amérique latine ALEPH, l’Ambassade de la République de l’Équateur en France et la Délégation de l’Équateur auprès de l’Unesco.

    Ce numéro spécial de Crisol célébrant les quarante ans de la création du Centre d’études équatoriennes s’ouvre très logiquement sur l’avant-propos de Claude Lara, de la Délégation de l’Équateur à l’Unesco, intitulé « Le Centre d’études équatoriennes de Paris Ouest, un regard équatorien ». Il est consacré à la création du Centre et aux activités menées depuis quatre décennies maintenant. Il montre que le Centre fonctionne comme le réseau des équatorianistes en France, dans les champs des sciences humaines et sociales, de la linguistique, des arts et des lettres. Outre cette mission première, il rappelle que le Centre a aussi pour objet de faciliter et de développer les études portant sur la République de l’Équateur, de resserrer les liens entre les deux pays et de promouvoir les échanges entre étudiants et chercheurs équatoriens et français. Il insiste également sur le rôle que le Centre joue auprès des chercheurs débutants, sa vocation étant également d’offrir un espace où présenter les résultats de jeunes recherches. Le Centre, depuis quarante ans, représente autour de Paris Ouest Nanterre – La Défense et du CRIIA (Centre de recherches ibériques et ibéro-américaines) un centre dynamique et novateur mettant à jour les connaissances sur l’Équateur.

    Regards croisés au prisme des champs civilisationnels

    La première partie du volume est consacrée aux échanges sous ses diverses facettes, selon une approche pluridisciplinaire. L’histoire des relations entre France et Équateur est en effet fort dense et cette partie s’efforce d´en aborder les moments et les acteurs les plus marquants : la mission de Charles-Marie de la Condamine et celle de Paul Rivet, les institutions de coopération, la vigueur de l’enseignement du français en Équateur, les nouvelles relations diplomatiques, les visites de chefs d’État, notamment celle du général de Gaulle en Équateur et, plus récemment, celle du Président Rafael Correa en France. Il ne s’agit pas seulement d’évoquer les éventuelles influences françaises dans la vie intellectuelle, culturelle et politique de l’Équateur mais de montrer comment se sont instaurés des échanges qui ont fait évoluer l'image de l’Équateur pour les Français et inversement.

    Le chapitre premier « Voyageurs et scientifiques français en Équateur : échanges culturels et coopérations » porte sur la présence culturelle française en Équateur au prisme des organes de coopération et des missions scientifiques, mais aussi des voyageurs. À ce titre, Alexis Medina, dans « Les Indiens sous la Révolution libérale (1895-1912) en Équateur à travers le regard de Paul Rivet », croise regards et perspectives à la lumière des travaux réalisés par Paul Rivet en Équateur. Il montre que ces derniers, outre leur intérêt anthropologique ou ethnologique, ouvrent de nouvelles perspectives pour les études historiques sur les Indiens pendant la Révolution libérale initiée en 1895. Le croisement avec d’autres sources, comme l’essai de Moncayo, les discours des responsables libéraux ou des documents produits par l’Église concernant les politiques d’évangélisation des Indiens, s´avère fructueux pour éclairer d’un jour nouveau le système de domination des Indiens et la politisation ou la mobilisation des secteurs dits subalternes, particulièrement intense pendant la Révolution libérale.

    Alvar de la Llosa, dans « L’Équateur et la visite du président français Charles de Gaulle (1964). Première partie : un contexte difficile », revient sur le contexte qui préside à la visite officielle du général de Gaulle en Équateur les jeudi 24 et vendredi 25 septembre 1964, à la lumière de la très riche documentation du Quai d’Orsay, encore peu exploitée. Cette étude éclaire d´un jour nouveau l´histoire politique de l’Équateur du début des années 1960 grâce à la diversité des points de vue, ceux des ambassadeurs, de la direction centrale, ceux exprimés par les acteurs équatoriens dans les cercles officiels et ceux de la presse. En effet, ce croisement des regards permet d’approfondir une vision historique équilibrée entre et depuis les deux pays. Le regard porté sur la politique interne de l’Équateur et l’analyse qu’en tire le représentant français sont particulièrement éclairants. Ils contribuent également à une meilleure connaissance d´un moment clé des relations franco-équatoriennes, lesquelles semblent s’essouffler dans un contexte de Guerre froide. Cette étude sera complétée ultérieurement par une recherche complémentaire sur la visite même du général de Gaulle, afin d´apprécier le renforcement de la coopération économique, scientifique et culturelle entre l’Équateur et la France. Nous ne manquerons pas de la publier dans un prochain volume proposé par le Centre d´études équatoriennes.

    Catherine Lara, pour sa part, analyse dans quelle mesure la première mission géodésique française constitue une contribution pour l’archéologie équatorienne d’aujourd’hui, croisant non seulement deux pays mais deux périodes. Son travail « Aux sources de la collaboration scientifique franco-équatorienne : apports de la première mission géodésique française à l’archéologie équatorienne » cerne en effet deux types d’acteurs et d’époques : les archéologues équatoriens ou travaillant en Équateur aujourd’hui et dans le contexte actuel, et les géodésiens français, voyageurs et scientifiques de l’époque des Lumières. Cette approche originale permet de comprendre le type de contributions réalisées par les géodésiens français à l’archéologie équatorienne contemporaine ainsi que l’usage que les archéologues équatoriens ou travaillant en Équateur en font aujourd’hui.

    Dans cette perspective, Diana Sarrade Cobos, avec l’article « La contribución científica y técnica del IRD en el conocimiento de la ciudad de Quito », revient sur les modalités du développement du Distrito Metropolitano de Quito à la lumière de la coopération scientifique et technique menée avec l’ORSTOM-IRD. Elle montre non seulement les apports de cette coopération particulièrement féconde à la connaissance de la ville de Quito et de son agglomération, mais elle analyse les spécificités d´une recherche commune basée sur le principe de l’action participative. Enfin, David Macías Barres analyse les enjeux et les particularités de l’enseignement du français en Équateur. Son travail « Una mirada contemporánea a la enseñanza del francés en Ecuador » observe la coopération linguistique mise en place par le gouvernement français et montre comment elle s’efforce d´adopter l’approche communicative et interculturelle promue de son côté par le gouvernement équatorien.

    Le croisement des regards est aussi celui que pratique le chercheur, en utilisant des outils d’analyse élaborés depuis un pays pour comprendre l’autre ou bien en adoptant la démarche comparatiste pour penser son objet d’étude. Le second chapitre de cette première partie « Perspectives comparatistes : une histoire en commun ? » entend ainsi proposer des approches comparatistes dans des domaines aussi variés que le droit, la géographie ou la psychanalyse. La perspective comparatiste sert moins à comparer les œuvres et les réalisations indépendamment les unes des autres, qu’à témoigner de leurs rencontres, multiples et variées tout au long d’une histoire qui peut aussi s’envisager, le cas échéant, comme commune.

    Ainsi, dans « Le droit de vote des femmes en Équateur et en France : d’Olympe de Gouges à Matilde Hidalgo de Procel », Sylvie Monjean-Decaudin compare-t-elle les parcours de deux pionnières de la lutte en faveur des droits civiques des femmes, Olympe de Gouges et Matilde Hidalgo de Procel. La mise en parallèle de l’avancée des droits des femmes dans les deux pays permet de constater que l’Équateur a doublement devancé la France, d’une part en reconnaissant dès 1924 le droit de vote et d’éligibilité des femmes, d’autre part en assurant une plus grande parité à l’Assemblée nationale.

    De même, Christine Récalt, dans « La controverse de l’eau en Équateur : deux visions, deux origines », observe les bases des hydropolitiques publiques et les évolutions des stratégies institutionnelles en France et en Équateur. L´article repère les origines de deux conceptions du rôle de l’État, l’une issue de l’héritage des Lumières, l’autre des luttes séculaires des peuples autochtones, pour effectuer un rapprochement fructueux de deux histoires de la gestion de l’eau. L’approche comparatiste permet ici de souligner les éléments essentiels à une démarche législative consensuelle dont pourraient tirer parti les deux pays.

    S’agissant de la psychanalyse, Verónica Valencia Bano utilise des outils français et, en l’occurrence, lacaniens qu’elle applique à un champ a priori aux antipodes de la psychanalyse, à savoir la tradition thérapeutique quichua. Cette démarche originale et inédite débouche sur l´article « Enfoque psicoanalítico sobre la histeria y la tradición terapéutica Kichwa » qui montre que deux formes de maladies dans une société traditionnelle, el espanto et el mal aire, peuvent être appréhendées à la lumière de la pensée lacanienne. Verónica Valencia Bano analyse comment ces deux maladies donnent une direction
    aux pulsions que Lacan appelle jouissance. Ce faisant, elle démontre que la théorie psychanalytique contribue à penser le rapport entre l’âme et le corps chez les Quichuas.

    Le troisième chapitre s’attache à « L’Équateur du 21e siècle en France ». Il s’agit de comprendre les nouvelles représentations de l’Équateur qui se mettent en place aujourd’hui en France, à la lumière des récents enjeux politiques qui bouleversent les relations franco-équatoriennes. Il s’agit également d’observer les nouvelles présences équatoriennes en France, en tentant de comprendre la place qu’occupe la France dans le phénomène migratoire massif qui caractérise l’Équateur du tournant de siècle.

    Les deux premiers articles s’attachent à l’étude des nouvelles représentations de l’Équateur au prisme de la presse écrite française. Nicole Fourtané, dans « Les élections présidentielles (2006, 2009) et la Constitution de 2008, vues par le journal Le Monde », revient sur la curiosité qui naît en France pour l’évolution politique récente de l’Équateur, depuis l’élection de Rafael Correa. Nicole Fourtané analyse dans quelle mesure l’équipe éditoriale du Monde a compris les enjeux ouverts par les évolutions constatées dans la nouvelle gouvernance nationale équatorienne et « la révolution citoyenne » mise en œuvre. Elle souligne la fidélité aux événements, le souci de précision dans la présentation de la réalité équatorienne, la recherche d’une certaine objectivité face aux réactions induites par la gestion du président Correa et les réformes innombrables qui interviennent depuis son accession au pouvoir, même si Le Monde représente là une exception dans le paysage français.

    De son côté, Hortense Faivre d’Arcier Flores, dans « La visite de Rafael Correa en France (mai 2008) au prisme de l'actualité politique », observe le traitement dont est l´objet la visite officielle en France du président équatorien, les 13 et 14 mai 2008, et s´efforce de pointer les raisons qui ont motivé ce déplacement aussi inattendu que discret, dix-huit ans après la venue à Paris du président Rodrigo Borja et quelques jours après celle du ministre des affaires étrangères français à Quito, Bernard Kouchner, en avril 2008. L’article décrypte les stratégies déployées de part et d’autre dans le resserrement des liens franco-équatoriens, plutôt distendus ces dernières années.

    Enfin, Chiara Pagnotta met en lumière la migration équatorienne en France, phénomène tout récent et encore peu étudié. Son travail, intitulé « L’immigration récente des Équatoriens et Équatoriennes en France (1995-2010) », permet de cerner le profil de ces nouveaux migrants au sein du flux andin contemporain et de montrer une spécificité française, en ce sens que ce flux se distingue du modèle qui prévalait encore il y a quelques années en France, selon lequel le chef de famille émigrait pour entretenir sa famille restée au pays. L’exemple équatorien montre que les protagonistes de la migration sont des femmes qui s’insèrent sur le marché du travail français dans le secteur de l’entretien ménager, très majoritairement sans-papiers et pratiquant un fort « entre soi » de compatriotes ou d’hispanophones.

    Regards croisés au prisme de la littérature

    La seconde partie du présent volume est consacrée aux champs littéraires. Les échanges y sont observés de façon chronologique afin de tenter de mettre en évidence l´évolution de leur densité et de leur qualité. Un premier chapitre, « Reformulations et réélaborations de l’héritage français », appréhende les modèles artistiques français qui ont inspiré les écrivains équatoriens. Il montre que ces modèles ne sont pas l’objet de transferts au sens strict du terme, mais que s’est instauré, depuis la fin du 19e siècle, une forme de dialogue avec la France. Simultanément, il permet de comprendre comment, pour les artistes équatoriens du 20e siècle, le champ intellectuel français apparaît comme un facteur de positionnement et un marqueur esthétique.

    Cette démonstration est au cœur de l’article de Pierre Lopez, « La France comme marqueur esthétique et vecteur culturel parmi les avant-gardes équatoriennes des années 1920-1930 ». L’auteur observe comment la France maintient en Équateur son aura parmi les élites des premières décennies du 20e siècle. Pour la bourgeoisie et la petite bourgeoisie, l’adoption d'un « raffinement à la française » s'impose même comme marqueur d’une ascension sociale réalisée ou espérée. Le monde littéraire équatorien des années vingt et trente n’échappe pas à la règle, érigeant la France en espace de tous les « possibles esthétiques », comme le montre Pierre Lopez à la lumière des publications des années vingt et trente, de Gonzalo Zaldumbide aux avant-gardes à l´origine de la revue Hélice notamment.

    Cristina Burneo observe pour sa part les modalités subtiles de l’appropriation et de la reformulation d’un héritage culturel français dans le cas de l’œuvre de Gangotena. Son travail « Césure et relativité : acrobatie d’un corps à deux fronts. Alfredo Gangotena » démontre que la pensée et l’écriture de Gangotena se sont nourries de la poésie française, mais aussi d’une expérience parisienne qui a permis à cet auteur inclassable de participer au dialogue scientifique et philosophique de son temps. Dans un entre-deux fécond entre France et Équateur, Gangotena a pu développer ses propres perspectives sur le monde, loin de toute idée d’expérience nationale, qu’elle soit équatorienne ou française. Cristina Burneo souligne l’originalité de la poésie d’Alfredo Gangotena qui défie l’idée de nation pour montrer que la littérature habite un espace transnational, jamais limité par des idéologies contingentes.

    C’est dans une perspective semblable que Caroline Berge aborde l’œuvre d’un autre auteur inclassable, César Dávila Andrade, dans « L’héritage des auteurs français dans l’œuvre de César Dávila Andrade ». Repérant l’influence littéraire française chez César Dávila Andrade, cet article analyse comment le poète se fait visionnaire à l’instar de Rimbaud, inscrivant son parcours lyrique dans une logique de liberté créatrice. Il montre également que les images poétiques sont réélaborées de manière personnelle. César Dávila Andrade entend dépasser les modèles de Rimbaud ou Michaux qui, selon lui, ne seraient pas parvenus à leurs fins. Cette ambition le conduit vers une forme d´excentricité qui fait de ses écrits une œuvre unique en son genre.

    Enfin, Anne-Claudine Morel revient également sur cette notion de dialogue franco-équatorien au prisme de la reformulation des influences, dans « Doctor Kronz versus Docteur Rieux : deux figures de l’exil dans un contexte de peste et de choléra. Étude comparative de La Peste (1947) d'Albert Camus et de El Viajero de Praga (1996) de Javier Vásconez ». Anne-Claudine Morel démontre que les deux romans sont des mises en scène littéraires d’une même interrogation : comment agir face au mal et au sein d'une communauté, alors que nous sommes tous déjà en proie à des problèmes individuels, à des doutes existentiels ? Les dimensions métaphysiques et philosophiques, les thèmes de l’absurde et du combat, la révolte, sont présents chez Camus et chez Vásconez. Ce dernier dépeint l’Équateur sans jamais le nommer à travers l’errance d'un Tchèque apatride dont l’exil interminable est à lire comme une variante de la condition humaine. Si l’écho de La peste est indéniablement présent dans El viajero de Praga, Vásconez parvient à l'ancrer dans un état d'esprit caractéristique de la fin du 20e siècle. En réponse à Camus qui affirmait ne pas avoir d'imagination, Vásconez déclare : « escribir, es mucho más que contar bien una historia, es sobre todo un ejercicio de libertad ». Ce chapitre se referme sur la réflexion de Ramiro Oviedo qui observe, à la fin du 20e et au 21e siècle, le déclin de l´influence française sur les écrivains équatoriens, mais aussi l’indifférence française pour la vie littéraire équatorienne. Dans « De la imaginación periférica a la novela transnacional », Oviedo propose de susciter l´intérêt et la curiosité des lecteurs français alors que la littérature équatorienne connaît un nouvel essor, tant quantitatif que qualitatif. Il offre un panorama inédit, caractérisé par des stratégies narratives renouvelées et par la renaissance du roman, issu des tensions entre imaginaires national et transnational où la place occupée par la France n’est pas neutre.

    Les échanges et les réélaborations sont aussi observés au prisme des auteurs équatoriens contemporains installés en France. Ils incarnent en effet de nouveaux intermédiaires culturels, de nouveaux passeurs entre la France et l´Équateur. Comme le montre le chapitre « Trois Équatoriens à Paris : Alfredo Noriega, Rocío Durán Barba, Telmo Herrera », la fascination n´est plus de mise. Il s’établit avec la France un dialogue bien différent, où la reformulation des héritages français se fait, le cas échéant, rejet critique.

    Deerie Sariols, dans l’article « Alfredo Noriega : Quito no se acaba nunca », revient sur deux romans noirs d’Alfredo Noriega, auteur équatorien écrivant à Paris, De que nada se sabe (2002) et Tan sólo morir (2010). Elle y observe les interdépendances Paris – Quito dans l´écriture de la ville. Le Quito reconstruit depuis l´autre côté de l´océan devient espace de convergence des imaginaires pour créer un lieu émotionnel modelé par la nostalgie. L’occupation de l’espace urbain parisien vient télescoper celui de Quito, redéfinissant la manière même d’exister dans la ville, entre « ser » et « estar ».

    Pour sa part, Nathalie Lalisse-Delcourt, dans son article « Ecuador vs Ecuador : droit de réponse de Rocío Durán-Barba à Henri Michaux », confronte deux regards d’écrivains ayant donné naissance à deux Ecuador, l’un en 1928, l’autre en 2007, l’un français, l’autre équatorien, qui portent sur une même réalité physique, humaine et culturelle. A Ecuador journal de voyage de Michaux, répond Ecuador el velo se levanta de Rocío Durán-Barba, fiction novatrice et plaidoyer poétique. L’ouvrage de l’Équatorienne se présente en effet comme un droit de réponse d’un genre insolite à l’écrivain franco-belge, mettant en scène un duel aussi original qu’improbable entre deux caractères que tout oppose, mais aussi entre deux regards qui s’affrontent sans merci. Renouvelant les modalités du dialogue entre France et Équateur, Ecuador el velo se levanta vise à infléchir, la trace indélébile que les écrits de Michaux ont laissée dans la conscience de plusieurs générations de lecteurs au sujet de l’Équateur.

    À son tour, Emmanuelle Sinardet observe les nouvelles modalités du dialogue France – Équateur au 21e siècle, tel que le formule le poète, romancier, dramaturge et peintre établi à Paris, Telmo Herrera. Son travail « Paris, mythe poétique équatorien : Desde la capital de los MalGenioS (2000) de Telmo Herrera » s’efforce de montrer que la fascination pour Paris se marie aux critiques parfois violentes, et cède, le cas échéant, le pas au désenchantement. Toutefois, ce faisant, le poète réinvente le mythe parisien, en effet, le recueil de poèmes Desde la capital de los MalGenioS, qui a pour sous-titre Paris 1995-2000, relève de la flânerie, topique parisien depuis Beaudelaire. La voix poétique équatorienne immergée dans la ville devient actrice de la mobilité ambiante et reconstruit un Paris qui apparaît alors comme un Paris intime et équatorianisé.

     

    Ce volume est dédié à la mémoire de l’équatorianiste Adriana Castillo-Berchenko, trop tôt disparue.

    Emmanuelle Sinardet
    Université Paris Ouest Nanterre – La Défense
    Centre d’études équatoriennes - CRIIA – EA 369

    SOMMAIRE

     

    Emmanuelle SINARDET – Introduction

    Claude LARA – Le Centre d'études équatoriennes de Paris Ouest, un regard équatorien

     

    Première partie : Regards croisés au prisme des champs civilisationnels

    Chapitre premier –  Voyageurs et scientifiques français en Équateur : échanges culturels et coopérations

    Alexis MEDINA – Les Indiens sous la Révolution libérale (1895-1912) en Équateur à travers le regard de Paul Rivet

    Alvar DE LA LLOSA – L’Équateur et la visite du président français Charles de Gaulle (1964). Première partie : un contexte difficile

    Claude LARA – Aux sources de la collaboration scientifique franco-équatorienne : apports de la première mission géodésique française à l’archéologie équatorienne

    Diana SARRADE COBOS – La contribución científica y técnica del IRD en el conocimiento de la ciudad de Quito

    David MACÍAS BARRÉS – Una mirada contemporánea a la enseñanza del francés en Ecuador

     

    Chapitre second –  Perspectives comparatistes : une histoire en commun ?

    Sylvie MONJEAN-DECAUDIN – Le droit de vote des femmes en Équateur et en France : d'Olympe de Gouges à Matilde Hidalgo de Procel

    Christine RÉCALT – La controverse de l’eau en Équateur : deux visions, deux origines

    Verónica VALENCIA BANO – Enfoque psicoanalítico sobre la histeria y la tradición terapéutica Kichwa Approche psychanalytique de la tradition thérapeutique kichwa

     

    Chapitre troisième – L´Équateur du 21e siècle en France

    Nicole FOURTANÉ – Les élections présidentielles (2006, 2009) et la Constitution de 2008, vues par le journal Le Monde

    Hortense FAIVRE D’ARCIER FLORES – La visite de Rafael Correa en France (mai 2008) au prisme de l'actualité politique

    Chiara PAGNOTTA – L’immigration récente des Équatoriens et Équatoriennes

     

    Deuxième partie : Regards croisés au prisme de la littérature

    Chapitre premier –  Reformulations et réélaborations de l´héritage français

    Pierre LOPEZ – La France comme marqueur esthétique et vecteur culturel parmi les avant-gardes équatoriennes des années 1920-1930

    Cristina BURNEO – Césure et relativité : acrobatie d’un corps à deux fronts – Alfredo Gangotena

    Caroline BERGE – L’héritage des auteurs français dans l’œuvre de César Dávila Andrade

    Anne-Claudine MOREL – Doctor Kronz versus Docteur Rieux : deux figures de l'exil dans un contexte de peste et de choléra. Étude comparative de La Peste (1947) d'Albert Camus et de El Viajero de Praga (1996) de Javier Vásconez

    Ramiro OVIEDO – De la imaginación periférica a la novela transnacional

     

    Chapitre second –  Trois Équatoriens à Paris : Alfredo Noriega, Rocío Durán Barba, Telmo Herrera

    Deerie SARIOLS – Alfredo Noriega : Quito no se acaba nunca

    Nathalie LALLISE-DELCOURT – Ecuador vs Ecuador : droit de réponse de Rocío Durán-Barba à Henri Michaux

    Emmanuelle SINARDET – Paris, mythe poétique équatorien : Desde la capital de los MalGenioS (2000) de Telmo Herrera – Sam Gote Moz– Capítulo 3°. Mosen Trota: canónigo vascuence

  • Crisol
    No 16 (2011)

     Crisol n°16

     

    Dossier Journée d’étude

    Zoraida CARANDELL - Préface

    Marion LE CORRE -CARRASCO – Avant-propos

    Marion LE COORE-CARRASCO – Sécularisation et création artistique espagnole : vers une émancipation en arts

    Josefa VILLANUEVA – Vicente Blasco Ibáñez : ce qui reste du journaliste et de l'homme politique

    Denis VIGNERON – L’homme auroral de Ernesto Giménez Caballero

    Malika AMARANE – La caricature politique comme arme de dénonciation : l’exemple de Songe et mensonge de Franco

    Brice LANDRY MBOGNA – Archives militaires et créations artistiques des prisonniers politiques espagnols sous le franquisme : entre fiction et réalité historique

    Yannick CHAPOT – Equipo crónica, la réinterprétation de la peinture d'histoire à la lumière du franquisme

    Marine LOPATA – España. Una, Grande, Libre de Carlos Giménez : le neuvième art au service de l’engagement politique

    Gabriel SEVILLA – Altamira à l'épreuve du XXIe siècle, la coupole de Miquel Barceló à l'ONUG (2008)

    Jaime CÉSPEDES – De Simón Schama a José Luis Peñafuerte, nuevos valores  del Guernica de Picasso en el género documental

    Notices biographiques des auteurs

     

    Miscellanée :

    Pascal TREINSOUTRAUT – Les substantifs déverbaux espagnols : la question du temps

    Susana GALA – Los cabellos de la Virgen: del Libro de los exemplos por A.B.C. a las leyendas contemporáneas

    Magali LEBOURG – Artifices solipsistes de l’adresse amoureuse dans la poésie de Francisco de Quevedo

    Juan HERRERO CECILIA – Sobre el empleo del refrán y de la máxima como estrategia de persuasión en el texto literario: el ejemplo de Don Quijote de la Mancha

    Manuel MARTÍNEZ ARNALDOS, Carmen M. PUJANTE SEGURA – Anatomie de un instante, de Javier Cercas, como proceso interdiscursivo: ficcional, periodístico y televisivo

    Christian ANDRÈS – Tres calas en la poesía « rara avis » de Ferrer Lerín (Ciudad propia. Poesía autorizada, 2006)

    Jorge Enrique GONZÁLEZ ROJAS – El concepto de ciudadanía en las primeras constituciones colombianas, 1810-1814

    Karine BALLANÉDA – Le difficile réapprentissage de la culture montañesa en Cantabrie

     

    Création

    Sam GOTE MOZ - Encomienda y embebienda

  • Crisol : Les écritures du mal dans la littérature latino-américaine
    No 15 (2011)

    Nous publions ici les communications présentées lors de la journée du 6 novembre 2010 consacrée à l’écriture du mal dans la littérature latino-américaine. Nous avons souhaité organiser une journée sur la question de l’agrégation « Les écritures du mal dans la littérature latino-américaine » pour différentes raisons : premièrement la problématique du mal intéresse notre groupe de recherche le GRELPP (Littérature, philosophie et psychanalyse) et c’est aussi une façon d’aborder autrement l’étude de trois écrivains (deux grands classiques et un jeune écrivain postmoderne). Le mal est un problème philosophique, ontologique qui demande évidemment tout un back ground pour l’appréhender. Mais ce qui importe c’est d’étudier l’écriture du mal, soit les dispositifs narratifs que les écrivains vont mettre en place pour traiter un problème universel certes mais aussi à recontextualiser dans la société latino-américaine. Le mal chez ces trois écrivains prendra une forme ou des formes diverses ; l’angoissante paranoïa d’un Castel dans El túnel de Ernesto Sábato le poussera à assassiner María ; chez l’écrivain paraguayen Augusto Roa Bastos, le mal aura des causes plus historiques tandis que dans le monde postmoderne du bolivien Edmundo Paz Soldán, le mal et le bien semblent interchangeables à l’image du monde virtuel dans lequel vivent les jeunes personnages de Los vivos y los muertos.
    Cette journée par le choix et la diversité des communications permettra d’ouvrir des pistes de réflexion dont on pourra tirer profit à courte échéance (concours) mais aussi à plus long terme pour quiconque travaille sur la littérature latino-américaine Pour l’organisation de cette journée, nous avons pu compter sur le soutien de l’Equipe de Recherche EA 369 dirigée par madame Marie Claude Chaput auquel est rattaché le GRELPP et aussi celui de madame Sylvaine Hugues, directrice de l’UFR de langues de notre Faculté et bien sûr sur la très précieuse collaboration de tous les collègues, éminents spécialistes de littérature latino-américaine, sans lesquels cette journée n’aurait pas pu avoir lieu.

    Françoise Aubès
    Université Paris Ouest Nanterre-La Défense

    SOMMAIRE

    Introduction – Françoise Aubès

    1 - Écrire le mal
    Stéphanie DECANTE – Ecritures du Mal ou écriture de la violence ? Enjeux d’une ‘vérité par la fenêtre’

    2 - El túnel de Ernesto Sábato ou les chimères de la folie
    Teresa ORECCHIA HAVAS – Ambiguas topografías del crimen en la narrativa argentina de los años cuarenta: Bianco, Bioy Casares, Sábato

    Monique PLÂA – La construction du personnage et la représentation du mal dans El túnel de Ernesto Sábato

    Béatrice MÉNARD – Les aveugles et le mal dans l'œuvre romanesque de Ernesto Sábato. Etude comparée de la vision du monde des personnages de Juan Pablo Castel dans El túnel et de Fernando Vidal Olmos dans Sobre héroes y tumbas entre dissidence politique et rénovation littéraire

    3 - Cuentos completos de Augusto Roa Bastos et le désenchantement du monde
    Milagro EZQUERRO – Los orígenes del mal en los cuentos de Augusto Roa Bastos

    Françoise AUBÈS – Jeux interdits : les enfants et le mal dans Cuentos completos de Roa Bastos

    4 - Los vivos y los muertos de Edmundo Paz Soldán : une éthique postmoderne
    Marie-Madeleine GLADIEU – Le mal el les messages subliminaux dans Los vivos y los muertos de Edmundo Paz Soldán

    Emmanuelle SINARDET – Postmoderne et spleen : le mal générationnel dans Los vivos y los muertos (2009) de Edmundo Paz Soldán

  • Crisol : Nouvelles Recherches sur le Refranero Castillan
    No 14 (2011)
    Depuis plusieurs années, notre laboratoire de linguistique romane s'intéresse particulièrement aux formes figées et à la parémiologie. Soutenus dans notre démarche par notre Centre de Recherches Ibériques et Ibéro Américaines (CRIIA) de l'Université Paris Ouest Nanterre La Défense, nous souhaitons contribuer au développement de ces domaines par des manifestations internationales et des publications scientifiques. Nous avons rassemblé dans le présent numéro de Crisol une série de textes inédits qui offrent une vue d'ensemble de la recherche actuelle dans le domaine de la parémiologie, discipline qui connaît un développement remar-quable depuis quelques années. En Espagne, notamment, où Julia Sevilla Muñoz est à l'origine d’une publication intégralement consacrée à la parémiologie, Paremia, revue ouverte aux chercheurs de toutes les nationalités qui peuvent ainsi mettre à jour leurs connaissances et profiter de cet outil de travail exceptionnel. Très active en France aussi, la parémiologie est en plein essor, en particulier grâce aux travaux réalisés depuis une vingtaine d’années sur les proverbes par les linguistes français. Les recherches de Jean-Claude Anscombre, de Georges Kleiber et de Martin Riegel ont fourni des pistes de réflexion pertinentes et novatrices, notamment dans le domaine de la structure des proverbes. Au sein de l'hispanisme français, une figure s'impose dans cette spécia-lité et nous souhaitions lui rendre hommage. Louis Combet (1927-2004) fut l'un des pionniers de la discipline et ses contributions aux recherches parémiologiques en France et en Espagne sont unanimement reconnue pour leur rigueur et leur valeur scientifique. Cette publication représente pour nous l'occasion de revisiter ses travaux : Recherches sur le Refranero castillan est un ouvrage d'une très grande rigueur intellectuelle, fondamental pour appré-hender le proverbe dans ses dimensions linguistique, culturelle et pragmatique. Louis Combet est aussi à l'origine de minutieux travaux d'édition de refraneros (Romancea Proverbiorum, Seniloquium, Vocabulario de refranes de Correas, Refranes o proverbios en romance de Hernán Núñez) et du recensement chronologique des grandes collections de proverbes. Mue par une intuition profonde, cette œuvre pionnière a énoncé de nombreux concepts de haute pertinence (1). Elle a ouvert des pistes aujourd’hui bien reconnues et parcourues. Combet a fait œuvre de définition et de typologie, distinguant proverbe et phrase proverbiale, faisant de ces formes brèves, aussi présentes en littérature que dans le langage le plus familier, l’objet de l’analyse du linguiste, de l’historien, du poéticien. Louis Combet a étudié (et édité) les proverbiers et les a situés dans leur contexte. Il a essayé, non sans succès, d’étudier la société espagnole au travers du Vocabulario de refranes de Gonzalo de Correas. L’entreprise n’allait pas sans dangers : le caractère stéréotypique du proverbe l’écarte naturellement d’une stricte application à un contexte historique donné. La relation entre un proverbe et une société est tout sauf biunivoque. Un refranero, pourtant, est une œuvre de sélection et d’adaptation à une société donnée et les conclusions de Louis Combet nous ont fait découvrir beaucoup sur la société espagnole du XVIIe siècle. Sur les traces de Combet, d’autres études ont été menées. La plus brillante a décrit les mentalités médiévales à partir des 465 proverbes contenus dans un manuscrit de Cambridge (2). Dans la typologie de Combet figure la distinction entre le proverbe d’expres-sion directe et le proverbe d’expression indirecte. Combet en a revendiqué la paternité, non sans quelque retenue ou scrupule (3). La première catégorie désigne directement l’expérience humaine, sans passer par l’expression métaphorique. Retenons pour exemple (1971 : 29), más vale tarde que nunca. Ces proverbes d’expression directe sont des sentences morales. Dans cette catégorie, Combet inclut les proverbes météorologiques (en febrero, mete tu obrero) et autres adages de portée pratique. Les proverbes d’expression indirecte sont quant à eux de nature métaphorique : « C’est à travers une métaphore que leur sens nous est finalement donné » (1971 : 30). Pour exemple: más vale un pájaro en la mano que buitre volando. Ce subtil départ, déterminé par la présence ou non de la métaphore, a le mérite de souligner le caractère fondamentalement illustratif et paraphrastique du proverbe. Il est certes exact que cette fonction « polynomique » (pour reprendre un mot de Bernard Pottier (4) ) passe par la métonymie (c’est le pro-verbe d’expression directe) et par la métaphore (c’est le proverbe d’expression indirecte). Un proverbe est métonymique dans la mesure où il habille le stéréotype d’un corps humain, d’une expérience humaine. Un proverbe est métaphorique quand il veut moquer une expérience humaine par une autre image. En fait, métaphore et métonymie se mêlent dans bien des proverbes et il faut passer par la métonymie pour faire d’une bourse ou d’une poche ses amis : el mejor amigo es la bolsa y el bolsillo. Ces travaux ont connu une importante diffusion dans le milieu scientifique international de la parémiologie et ont inspiré de nombreux chercheurs en France et en Espagne. A la suite de Combet, la recherche actuelle a considérablement progressé dans les différents domaines qui constituent cette discipline, grâce à des apports théoriques d'une part, mais aussi grâce aux innombrables pistes de réflexion qu'il a léguées. Le proverbe et ses fonctions à l'époque classique et au Moyen Age suscitent toujours l'intérêt de la recherche internationale. S'ajoutent des sujets variés abordés consciencieusement dans Recherches sur le "Refranero" castillan, les questions de classification, de taxinomie ou encore de traduction. Quant aux pistes suggérées dans cette œuvre, elles constituent un intéressant point de départ pour le développement de la discipline dans le domaine de la linguistique notamment. La vitalité non démentie des études dans le domaine de la parémiologie justifie cette initiative qui rassemble des chercheurs provenant d'horizons scientifiques différents. Leur collaboration, faite de réflexion au sujet de la contribution du célèbre hispaniste à la discipline, mais aussi de mise en perspective de ses travaux avec les théories plus récentes développées dans les deux pays depuis quelques années, devrait constituer un véritable apport pour la parémiologie. Nous avons souhaité multiplier les approches, grâce à la collaboration d'éminents spécialistes : l'ouvrage qui en résulte permet à la fois d'établir un état de la question concernant les avancées de la discipline et de rendre compte de son évolution. Dans la première partie, Julia Sevilla Muñoz et Silvia Palma consacrent leurs articles à l'analyse comparée des parémies françaises et espagnoles et évoquent les questions pragmatiques liées aux difficultés inhérentes à la parémiologie en matière de traductologie. David Macías Barrés s'inscrit aussi dans cet axe en y ajoutant une perspective didactique. La deuxième partie de ce recueil, conduite par Jean-Claude Anscombre, Sonia Fournet-Perot et Alexandra Oddo, propose une orientation linguistique. Les travaux portent tour à tour sur le traitement linguistique des proverbes, leur fonction pragmatique en discours et sur l'évolution en diachronie de leur signifiant. Les recherches parémiographiques font l'objet de la troisième partie. Le travail de récupération du matériau de proverbes dont nous disposons est en effet un pan essentiel de la discipline. Les travaux de Hugo Oscar Bizzarri, sur les proverbes, les phrases proverbiales et les énoncés sentencieux cervantins, et de Ángel Iglesias Ovejero, au sujet des dictons issus d'un calendrier régional espagnol, interrogent deux canaux de transmission des parémies, la langue écrite et la langue orale. Gloria Ríos Guardiola et Mercedes Banegas Saorín proposent ensuite une approche thématique et contrastive de la parémiologie en comparant les énoncés associés à l'eau dans les proverbiers français et espagnols. Deux études au sujet des grands recueils de proverbes hérités du XVIe siècle complètent cette publication. André Gallego, qui propose l'exégèse d'une source négligée en son temps par Correas, les Coloquios familiares de Gabriel Meurier et Marina García Yelo, qui évoque les proverbes français recueillis par Hernán Núñez dans Refranes o proverbios en romance, confirment grâce à leur contribution l'intérêt capital de ces grandes compilations pour la recherche en parémiologie.

     

    Alexandra Oddo et Bernard Darbord.

    2011.

     

    1 Louis Combet, Recherches sur le "Refranero" castillan, Paris, Les Belles Lettres, 1971.

    2 Philipe Ménard, « Les mentalités médiévales d’après le Recueil de Proverbes de Cambridge (ms Corpus Christi 450), Tradition des proverbes et des exempla dans l’occident médiéval, édité par Hugo Oscar Bizzarri et Martin Rohde, Fribourg, Scrinium Friburgense 24, 275-297.

    3« Une telle façon de s’exprimer manque de précision… Un linguiste plus rigoureux préfèrerait sans doute parler d’expressions lexicales à très grand niveau de généralité ou à faible niveau de généralité » (Combet, 1971 : 29).

    4 Bernard Pottier, Représentations mentales et catégorisations linguistiques, Paris, Louvain, éditions Peeters, 2000, 116-123.

     

     SOMMAIRE

    Première partie : approches comparées et traductologiques

    Julia SEVILLA MUNOZ – La aportación de Louis Combet para el estudio de las paremias  francesas con un enfoque comparado, traductológico y pragmático

    Silvia PALMA – Los refranes en Las tierras flacas, de Agustín Yáñez. Problemas de traducción

    David MACÍAS BARRÉS – El desarrollo de la competencia paremiológica en los futuros profesores de español como lengua extranjera en Francia

    Deuxième partie : approches linguistiques

    Jean-Claude ANSCOMBRE – Grandeurs et misères linguistiques de la parémiologie

    Sonia FOURNET-PEROT – La Dorotea de Lope de Vega : au royaume de l'implicitation, le proverbe est roi

    Alexandra ODDO – Évolution du Refranero castillan : la question des proverbes tronqués

    Troisième partie : questions parémiographiques

    Hugo Oscar BIZZARRI – Apuntes para un 'Diccionario de refranes, frases proverbiales y sentencias cervantinas'

    Ángel IGLESIAS OVEJERO – Los refranes de referencia temporal en el calendario agrícola de Robleda

    Gloria RÍOS GUARDIOLA et Mercedes BANEGAS SAORÍN – El agua en los refranes. Estudio contrastivo francés-español

    Quatrième partie : les recueils de proverbes

    André GALLEGO BARNÉS – Une source de proverbes négligée par Correas : les Coloquios familiares de Gabriel Meurier (1568)

    Marina GARCÍA YELO – Considérations sur l'édition critique de l'œuvre Refranes o proverbios en romance de Hernán Núñez. Réflexions sur les proverbes français

  • Crisol : Nos petites indépendances. Imaginaires discours décalés sur l’Indépendance hispano-américaine
    No 13 (2010)

    L’ouvrage que nous présentons est la publication des communications de la journée organisée dans le cadre de la série de manifestations consacrées au bicentenaire de l’Indépendance hispano-américaine à l’université de Paris Ouest Nanterre - La Défense entre le 26 mai et le 18 juin 2010. Cette journée intitulée « Nos petites indépendances : imaginaires et discours décalés sur l’indépendance hispano-américaine », complémentaire du colloque international sur « l’Indépendance de l’Amérique andine et l’Europe (1767-1840) », se propose de mettre l’accent sur l’aspect littéraire et culturel de l’Indépendance, mais dans une perspective différente, d’où le titre quelque peu atypique voire ludique. En effet, plutôt que suivre les sentiers battus et rebattus d’une certaine approche officielle d’un événement historique d’une ampleur continentale et d’une résonance idéologique tout aussi impressionnante, nous avons préféré les chemins de traverse ; il nous a semblé important de mettre l’accent sur les aspects moins connus ou détonants de cet immense événement historique, de porter un regard décentré, excentrique, sur le discours historiographique mais aussi imaginaire et culturel. Nous nous sommes donc intéressés aux héros de l’Indépendance, mais à ceux qui d’une certaine façon restent dans l’ombre des Libertadores, les jeunes martyrs, les femmes. Le regard de l’autre, de l’étranger, du voyageur, est également à prendre en compte comme un témoignage décentré, tout comme la fiction historique immédiate, celle des romans écrits au XIXe siècle ou plus critique et même carrément iconoclaste des grands romans du XXe siècle qui n’ont de cesse de faire descendre de leur piédestal ces héros de marbre et de bronze considérés comme les pères de la nation. Enfin les communications consacrées aux discours politiques cent ans après, quand commence le temps des commémorations, montrent combien l’événement est porteur d’interrogations majeures. Contrairement à la réflexion désabusée d’un Bolívar aux portes de la mort, « j’ai labouré la mer en vain », cette grande geste continentale et acte de naissance des jeunes pays d’Amérique latine a ensemencé un vaste champ d’investigation à l’entrecroisement de nombreuses disciplines, suscitant d’inépuisables et enrichissantes questions auxquelles nous espérons que cet ouvrage apportera sa contribution.
    Françoise Aubès (coordinatrice)
    Université Paris Ouest Nanterre-La Défense

     

    SOMMAIRE

    Françoise AUBÈS – Introduction

     

    1 - Des acteurs inattendus

    Présentation d'Alvar de La Llosa. Héros inattendus. Femmes et jeunes

    Zunilda CARVAJAL – Le rôle des femmes dans l'Indépendance du Chili

    Jesús MARTÍNEZ – Mogrovejo Mariano Melgar (1790-1815) o cómo fabular la Independencia

    Alvar DE LA LLOSA – Luis Vargas Tejada (Colombie, 1802-1829)
    entre création littéraire et dissidence politique

     

    2 - Écrire l’Indépendance

    Présentation de Françoise Aubès. D'histoires en Histoire

    Harry BELEVAN-McBRIDE – Ideólogos de la Independencia del Perú

    Marie-Madeleine GLADIEU – Le Pérou indépendant. Visions intérieures et extérieures de la nouvelle nation

    Françoise AUBÈS – Etude du roman de l'Espagnol Ramón Soler. Adela y Matilde o los cinco últimos años de la dominación española (1843)

    Béatrice MÉNARD – Sur les chemins de traverse de l'Histoire. La démythification de la figure de Simón Bolivar
    dans El general en su laberinto (1989)

     

    3 - L’Indépendance cent ans après. Discours politique, discours identitaire
    Présentation d'Emmanuelle Sinardet. Commémorer les indépendances

    Emmanuelle SINARDET – Quito au cœur des indépendances. Commémoration et mémoire dans Quito y la independencia de América de Jacinto Jijón y Caamaño (1922)

    Stéphanie DECANTE – Cent ans après le syndrome du bovarysme national

  • Crisol
    No 12 (2008)

    Crisol (Nouvelle série) vit encore, en dépit du rythme irrégulier de sa parution qui pourrait laisser penser que notre revue s’essouffle. Ce n° 12 vient le rappeler opportunément. En réalité plusieurs numéros sont en cours de confection simultanément et paraîtront sous peu.

    Fidèle à la vocation ibéro-américaniste et généraliste de la revue, ce numéro présente des études originales en linguistique, en didactique des langues, en littérature classique, littérature moderne espagnole, littérature de langue portugaise et littérature argentine.

    On y trouvera également une très suggestive étude de civilisation hispano-américaine et une autre sur Picasso et le théâtre. Sans oublier la traditionnelle section « Création » qui offre une sélection de poèmes inédits du poète mexicain Oscar Márquez Ovando et le premier chapitre d’un roman par épisodes de Sam Gote Moz.

    Très bonne lecture

     

    Thomas Gomez
    Directeur de Crisol

     

    SOMMAIRE

    Thomas GOMEZ – Avant-propos

    Christian BOIX – De quelques distorsions dans l’usage du passé simple et du passé composé en français et en espagnol

    David MACIAS, Sara BENET et Mónica D. REYNOSO – Revaluación de la traducción en la clase de lengua

    Christophe COUDERC – Littérature et anthropologie : la Comedia espagnole du Siècle d’Or et la question du mariage

    Mercedes ALMAGRO – Poner voz al silencio a través de la obra Historia de una maestra de Josefina Rodríguez Aldecoa y de Diario de una maestra de Dolores Medio

    Maria DO CARMO MARTINS PIRES – Basse-cour et dépendances : la société postcoloniale capverdienne vue par Germano Almeida

    Esther RIPPA – Roberto Arlt : la fièvre de l’or, le démon de midi

    Philippe COLIN – Espace, identité et utopie de la connaissance dans Estado de la geografía del Virreinato de Bogotá de Francisco José Caldas

    Malika AMRANE – Picasso et le théâtre

     Création

    Oscar MÁRQUEZ OVANDO – Poemario

    Sam GOTE MOZ – Rameras para América

  • Crisol
    No 11 (2007)

    C’est avec grand plaisir que je présente ce n° 11 de Crisol (Nouvelle série) qui, malheureusement, a pris beaucoup de retard en raison de circons-tances qui n’ont rien à voir avec la vie du CRIIA.

    Elles sont aujourd’hui dépassées et ce numéro témoigne de la vitalité de notre revue et de son ouverture vers le monde de la recherche en études hispa-niques et latino-américaines. Fidèle a sa dimension généraliste Crisol offre une fois de plus des études originales en linguistique, littérature et civilisation dont les auteurs, chercheurs confirmés, sont tous extérieurs à notre centre et nous font confiance  pour la diffusion de leurs travaux.

    L’ouverture générationnelle est également à remarquer dans cette livrai-son puisque pas moins de quatre auteurs sont des doctorants prometteurs et nous sommes heureux de les aider à mettre le pied à l’étrier.

    On remarquera aussi que, comme dans les numéros précédents, la création n’est pas absente à travers de brèves productions de poètes confirmés ou en devenir.

    Thomas Gomez
    Directeur de Crisol

     

    sOMMAIRE

     

    Thomas GOMEZ – Avant-propos

    Gabrielle LE TALLEC-LLORET – « Ende, lecture du signifiant »

    Monique BOAZIZ-ABOULKER – Les problèmes de la traduction biblique à travers deux exemples : la Bible de Ferrare et la Bible d’Albe

    Diana ESTEBA RAMOS – Léxico y ejemplificación gramatical en el Siglo de Oro: principales
    modelos en las gramáticas del español publicadas en Francia

    Christian ANDRÉS – La frontière du paratexte dans La Dorotea de Lope de Vega : lecture générique du prologue "Al teatro"

    Manuel MARTÍNEZ DURÓ – La Historia como artificio: Imitación de modelos textuales historiográficos en Herrumbrosas lanzas de Juan Benet

    Solène MERVILLE – La paratopie dans Rosario Tijeras : le moyen d’un regard critique sur la violence ?

    Marie JAMMOT – Le monde d’à côté. Une lecture de Canto de sirena de Gregorio Martínez

    Eric COURTHÈS – Métaphorismes. Jeux de construction de l’écriture et de l’homme, d’Augusto Roa Bastos

    Dimitri AGÜERO – La Radio en la Guerra Civil Española

    Philippe DAUTREY – ¿El fin del petróleo en México? Más allá de la cuestión energética

    Jacques NZIENGUI-MAMBOUNDOU – Objectifs et stratégies d’organisation de l’intégration économique en Amérique latine

    José DE LA COLINA – Los Inmortales del Momento

    Jesús MARTÍNEZ MOGROVEJO – Seisnuevedosochocero

    Marc ZUILI – Compte rendu : Le théâtre espagnol du Siècle d’Or de Christophe Couderc

  • Crisol
    No 10 (2006)

    C’est avec grand plaisir que je présente ce n° 10 de Crisol (Nouvelle série) qui témoigne du dynamisme de notre centre de recherches et de son rayonnement.
    En effet, nous y accueillons la production de nos chercheurs, débutants ou confirmés, ainsi que celle des chercheurs extérieurs qui font confiance à notre revue pour la diffusion de leurs travaux. Chacun pourra constater que Crisol se porte de mieux en mieux
    Sa pérennité, sa régularité, son contenu de plus en plus étoffé, sa présentation et la qualité des contributions, en ont fait une publication qui compte désormais dans le panorama de la recherche ibérique et ibéro-américaine en France.
    Tous les espaces (Espagne, Amérique), toutes les époques (Môyen-Âge, Siècle d’Or, époque moderne et contemporaine) et tous les genres (linguistique, littérature, civilisation, histoire) du monde hispanique et hispano-américain se trouvent représentés dans les treize contributions que comporte ce consistant volume dont nous conseillons la lecture à tous ceux qui s’intéressent à la production culturelle de l’hispanisme.

    Thomas GOMEZ
    Directeur de Crisol

    2006

     

     sOMMAIRE

    Thomas GOMEZ – Avant-propos

    Pascal TREINSOUTRAUT – Tostado : adéquation entre la lettre d’un signifiant et la lecture de cette lettre

    Catherine TALBOTIER – El caballero de Dios, métaphore, informant pratique ou révélateur sémiologique

    Monique CHEYNEL – Le mariage religieux et ses tractations au Moyen-Âge

    Marie-Hélène MAUX-PIOVANO – La société espagnole au XVIIe siècle d’après les Phrases de hablar difíciles de la lengua española de Jerônimo de Texeda (1629)

    Diana ESTEBA RAMOS – Contribución al estudio de las relaciones entre las gramáticas de español para extranjeros aparecidas en Francia en el siglo XVII: el caso de Claude Dupuis (Sieur Des Roziers) y Sieur Ferrus

    Carole DUCROCQ – Les représentations du diable dans le théâtre espagnol antérieur à Lope de Vega

    Tahar BEKRI – La brûlante rumeur de la mer

    Edmer CALERO DEL MAR – Espacio novelesco y simbolismo andino del centro en Los ríos profundos y en Todas las sangres, de José Maria Arguedas

    Maurizio RUSSO – Iglesia y Estado en América Latina en el siglo XIX: El Salvador entre independencia y construcción nacional

    Alvar DE LA LLOSA – L’indien et le crocodile : André Siegfried, une vision de l’Amérique latine

    Lionel BAR – Images, culture et communication au Nicaragua (1960-1990)

    Tomás GÓMEZ, Dimitri AGÜERO, Tatiana HASSAN, Olga MARTÍNEZ GROSJEAN, Solène MERVILLE, Kenza SAHIL, Cecilia ZALDÍVAR – La Sociedad Patriótica de La Habana y el inventario de 1828

    Alvar DE LA LLOSA – Compte rendu de lecture: Una cuestión de honor. La polémica sobre la anexión de Santo Domingo vista desde España (1861-1865). Eduardo González Calleja y Antonio Fontecha Pedraza, Santo Domingo: Fundación García Arévalo, 2005 305

  • Crisol : Littératures et sociétés de l'aire lusophone
    No 9 (2005)

    Ce numéro de Crisol, entièrement consacré aux littératures et sociétés de l’aire lusophone, se compose de deux parties.

    La première, « Histoire et histoires du 25 avril », réunit cinq articles qui concernent le trentième anniversaire de la révolution des Œillets et le colloque international Mémoires d’avril, organisé par les Universités de Rennes 2 -Haute-Bretagne et Paris X - Nanterre, qui se tint du 27 au 31 avril 2004.

    Les rapports et enlacements entre la fiction et cet événement marquant de l’histoire récente du Portugal sont tour à tour étudiés. Felipe Cammaert, dans « La fiction face à l’histoire : le souvenir du 25 avril dans Fado Alexandrino et O Manual dos Inquisidores » étudie la représentation de la révolution portugaise dans ces deux romans d’António Lobo Antunes, l’un des écrivains majeurs de la littérature portugaise contemporaine.

    L’émergence de l’Histoire dans l’œuvre romanesque de José Saramago, prix Nobel de littérature, est l’objet de l’analyse de Sylvia Amorin, dans « L’Histoire dans la fiction : dictature et Révolution dans l’œuvre de José Saramago ». Elle y étudie plus particulièrement la représentation de la dictature et celle de la révolution dans l’œuvre de l’auteur de Levantado do Chão.

    Pour sa part, Flávia Nascimento reprend cette même thématique en y ajoutant l’angle de la mémoire qu’elle analyse dans « Les entrelacements de l’Histoire, de la fiction et de la mémoire dans Alexandra Alpha », cette œuvre de José Cardoso Pires si représentative de la période post-révolutionnaire et dans laquelle l’auteur traite avec tant de pertinence la place de la femme dans la société portugaise d’alors.

    Le 25 avril dans l’œuvre de Mário de Carvalho est le thème de l’article de Teresa Sousa de Almeida. L’analyse textuelle qu’elle réalise dans « Histoire d’une ellipse : le 25 avril dans l’œuvre de Mário de Carvalho » permet en effet, de dévoiler l’importance de cet événement – jusqu’alors apparemment absent – dans la production de cet auteur.

    Puisque l’influence de la révolution des Œillets ne se limite pas à la société portugaise, et qu’elle fut déterminante pour l’avenir des colonies africaines, « Vinte e Zinco, chronique d’une non-date » de Marie-Françoise Bidault montre comment le 25 avril a été représenté dans cette œuvre du Mozambicain Mia Couto.

    Enfin, un entretien de l’écrivain Urbano Tavares Rodrigues, personnage central des lettres portugaises des cinquante dernières années, accordé à José Manuel Esteves, donne à connaître toute la portée des changements que la société portugaise a connus depuis le 25 avril 1974.
    À travers un vaste tableau de la production littéraire portugaise des dernières années, Urbano Tavares Rodrigues bâtit un véritable portrait du Portugal d’aujourd’hui.

    Grâce à l’aimable autorisation de l’auteur, nous avons le plaisir de publier son conte, Tu viendras un beau matin, le soleil poindra1, traduit par Maria do Carmo Martins Pires.


    La deuxième partie, « Cultures et littératures des mondes lusophones » comporte six articles sur le Brésil et le Portugal. Marcelo Ridenti ouvre la série avec « Artistes et politique : Brésil années 1960 » en y étudiant la littérature et la chanson engagées sous les premières années du régime militaire que le Brésil connut entre 1964 et 1985.

    À son tour Graça dos Santos d’expliquer dans « Du corps physique au corps social. Les conditionnements du théâtre portugais au XXe siècle », comment sous l’Estado Novo portugais, le corps physique pouvait être la métaphore du corps social, aussi bien au Teatro de Revista que sur la scène nationale du Théâtre D. Maria II.

    Le rôle joué para les sens dans la perception d’un univers aussi exotique que l’espace amazonien et libano-amazonien et son importance dans l’économie de l’œuvre de Milton Hatoum est mis à jour par Eden Viana Martin, dans « L’éveil des sens dans les romans de Milton Hatoum ».

    Pour sa part, Idelette Muzart-Fonseca dos Santos dans « Ariano Suassuna et la poétique armoriale : éléments pour un déchiffrement du Brésil », fournit des clefs pour comprendre le rôle joué par l’histoire personnelle de l’écrivain dans son processus créatif. Elle souligne la mutation et la réécriture permanentes de l’œuvre de Suassuna. L’importance, l’originalité et surtout l’immense liberté de l’auteur de O Auto da Compadecida, sont ainsi mis en exergue.

    Dans « Langue et pouvoir : Sargento Getúlio de João Ubaldo Ribeiro » Claudia Poncioni explique comment la complexité et la violence des rapports sociaux dans le Nord-est brésilien prennent forme dans cette œuvre à travers les liens qui existent entre la langue portugaise pratiquée par les Brésiliens instruits et celle parlée par les exclus du système scolaire.

    Le dernier article de cette deuxième partie, « La ville en images dans la poésie moderne brésilienne : Mário de Andrade », de Aleilton Fonseca, nous ramène à l’univers urbain de São Paulo et aux rapports privilégiés qu’entretien l’auteur de Paulicéia Desvairada avec sa ville natale.

    La ville est également présente dans le compte-rendu que José da Costa présente de Uma volta pela cidade, livre de poèmes que Sara Monteiro a présenté aux étudiants de Nanterre en 2004.

    Nous voudrions remercier Michel le Stum et Manuela Valente pour le travail graphique qui illustre la couverture de ce volume. Son édition n’aurait été possible sans le soutien infaillible du directeur de la publication, Monsieur le professeur Thomas Gomez. Dès le départ, il a accueilli avec enthousiasme l’idée de ce numéro consacré au monde lusophone et nous a accordé toute sa confiance.


    Nanterre, le 19 décembre 2005
    Claudia PONCIONI
    José Manuel ESTEVES

     

    SOMMAIRE

     

    Claudia PONCIONI et José Manuel ESTEVES – Avant-propos

    1ère partie : Histoire et histoires du 25 avril

    Felipe CAMMAERT – La fiction face à l’histoire : le souvenir du 25 avril 1974 dans Fado Alexandrino et o Manual dos Inquisidores d’António Lobo Antunes

    Silvia AMORIN – L’Histoire dans la fiction : dictature et Révolution dans l’œuvre
    de José Saramago

    Flávia NASCIMENTO – Les entrelacements de l’Histoire, de la fiction et de la mémoire dans Alexandra Alpha, de José Cardoso Pire

    Teresa SOUSA DE ALMEIDA – Histoire d’une ellipse : le 25-Avril dans l’œuvre de Mário de Carvalho

    Marie-Françoise BIDAULT – Vinte e zinco : chronique d’une non-date

    José Manuel DA COSTA ESTEVES – Entretien avec l’écrivain Urbano Tavares Rodrigues

    Conte d’Urbano TAVARES RODRIGUES – Tu viendras un beau matin, le soleil poindra

     

    2ème partie : Cultures et littératures des mondes lusophones

    Marcelo RIDENTI – Artistes et politique : Brésil, années 1960

    Graça DOS SANTOS – Du corps physique au corps social. Les conditionnements du théâtre portugais au XXe siècle

    Eden VIANA MARTIN – L'éveil des sens dans les romans de Milton Hatoum

    Idelette MUZART-FONSECA DOS SANTOS – Ariano Suassuna et la poétique armoriale : éléments pour un déchiffrement du Brésil

    Claudia PONCIONI – Sargento Getúlio de João Ulbaldo Riberio : langue et pouvoir

    Aleilton FONSECA – La ville en images dans la poésie moderne brésilienne : Mário de Andrade

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